Monastère sainte Catherine au Sinaï : les évangiles de Matthieu et de Luc

 

 

Monastère sainte Catherine au Sinaï :

les évangiles de Matthieu et de Luc

 

— C’est ici dans le désert du Sinaï dans le monastère orthodoxe-grec de sainte Catherine d’Alexandrie que sont conservés les plus anciens manuscrits du nouveau testament, le Codex Sinaïticus, découvert en 1841 par Constantin Tischendorf*. Intéressons-nous aux manuscrits en langue grecque des évangiles de Matthieu et de Luc. L’évangile de Matthieu rapporte l’arrivée de Rois Mages, des astronomes chaldéens qui avaient vu une Etoile et sont venus adorer « le nouveau roi des Juifs ». L’évangile de Luc présente la Nativité, entourée de bergers et d’anges, et lors du « recensement du monde habité » décrété par l’empereur Auguste. Il conviendra de vérifier si la date de ce recensement coïncide avec la triple conjonction de Jupiter et de Saturne calculée dans les tablettes en écriture cunéiforme.

— Je me souviens du récit des Mages.

— Certes mais ici c’est l’original, en grec pas en latin, et traduit directement en français, en 1923, par Marie-Joseph Lagrange*, un père dominicain (O.P., Ordre des Prêcheurs) qui fonda l’Ecole biblique française de Jérusalem en 1890 à la demande de Léon XIII. Ce pape libéral recommandait une traduction laïque des textes bibliques fondée sur la critique rationnelle des textes, sur la philologie et sur une exégèse scientifique. Tu va voir toutes les différences qui s’imposent aujourd’hui.

 

Le texte de Matthieu

— Je lis :

« Or Jésus étant né à Bethléem de Judée au temps du roi Hérode, voici que des Mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem, disant « Où est le roi des Juifs qui vient de naître? Car nous avons vu son ”astre” [au lieu d’une étoile] à ”son lever” [au lieu de à l’Orient] et nous sommes venus l’adorer ». L’ayant appris, le roi Hérode fut troublé et Jérusalem tout entière avec lui, et ayant assemblé tous les princes des prêtres et les scribes du peuple, il s‘informait auprès d’eux où devait naître le Christ. Ceux-ci lui dirent : « A Bethléem de Judée ; car il est ainsi écrit par le ministère du prophète : Et toi Bethléem, terre de Juda, tu n’es point la plus petite parmi les princes de Juda. Car de toi sortira un chef, qui doit paître mon peuple, Israël ». Alors Hérode, ayant fait appeler secrètement les Mages, apprit d’eux exactement le ”Temps” de ”l’apparition de l’astre”, et ”les ayant mis sur le chemin de Bethléem”, il dit : « Allez, enquérez-vous exactement de l’enfant, et, lorsque vous l’aurez trouvé, annoncez-le moi, afin que moi aussi j’aille me prosterner devant lui ». Sur ces paroles du roi, ils partirent, et voici que ”l’astre” qu’ils avaient vu ”à son lever” [au lieu de à l’Orient], les précédait jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant. ”A la vue de l’astre ils se réjouirent vivement d’une grande joie”. Et étant entrés dans la maison, ils virent l’enfant, avec Marie sa mère, et, tombant à genoux ils se prosternèrent devant lui, et ayant ouvert leurs trésors, ils lui offrirent des présents, de l’or, de l’encens et de la myrrhe».

Matthieu 2,1-11

 

Etoile ou Astre

J’ai compris, ”astre” est un terme général qui désigne aussi bien une planète qu’une étoile.

Oui tu as raison, le nom ”étoile” n’existe pas en langue grecque seulement le nom ”astre”. S’il s’agit d’un astre bien défini c’est facile, les astronomes grecs citaient son nom propre : Sirius ou Véga dans le cas d’une étoile, Mars ou Jupiter dans le cas d’une planète. Mais, dès lors qu’il s’agissait d’une famille indéfinie d’astres, et que le doute était possible, les astronomes grecs ajoutaient au nom ”astre” l’adjectif qualificatif ”planétès”, ”errant”, qui précisait qu’il s’agissait d’un astre errant dans le zodiaque (une planète) ou l’adjectif qualificatif ”aplanès”, ”non-errant” qui précisait que l’astre en question (une étoile) restait fixe par rapport aux autres étoiles, formant toutes entre elles un ensemble permanent de constellations. L’astre pouvait aussi être qualifié de ”cométès”, chevelu, une comète, ou être étiqueté ”bolos”, bolide, étoile filante .

 

A l’Orient ? ou… à son lever ?

— ”A l’Orient” ou ”à son lever”, je devine la différence. ”A l’Orient” c’est le langage d’un géographe, cette expression indique : une ”Direction”. Mais quand un copain me dit qu’il a vu Jupiter ”à son lever” je comprends qu’il a vu Jupiter au moment de son lever et qu’il s’agit d’un ”Temps” pas d’une ”Direction”.

—Tu as parfaitement raison et c’est un point essentiel qui a mené beaucoup d’exégètes sur de fausses pistes. Au début du 20e siècle, le père Lagrange* mais aussi Weiss, Loisy et Klost, commençèrent à soupçonner que le mot grec, anatolé, pouvait désigner un Temps et que les Mages étaient sans doute des astrologues ; en réalité les mages étaient des astronomes qui, depuis un millénaire déjà, prévoyaient les éclipses et les positions des planètes dans le zodiaque. Les astronomes mesurent le Temps, le Temps des événements astronomiques futurs, c’est leur métier, un métier hautement respecté.

 

…lever journalier?…ou lever annuel ?

— Il faut approfondir, il y a ”le lever journalier des astres” et ”le lever annuel des astres”.

 J’y vais, je recherche sur Google avec les mots clés ”dictionnaire grec”, je prends le ”Bailly” et le ”Charles Alexandre”. Le mot grec est ανατλε, anatolé. C’est curieux ils distinguent ”le lever du Soleil” et ”le lever d’un astre”.

 Oui le Soleil se lève chaque jour, c’est un lever journalier. Mais les étoiles ne sont pas visibles toutes les nuits de l’année : Orion est une constellation d’automne-hiver, tandis que le Scorpion et son étoile rouge Antarès  est visible au printemps-été. Les étoiles, planètes, galaxies sont visibles à deux conditions : être situé au-dessus de l’horizon et qu’il fasse nuit. Les étoiles circumpolaires comme la Grande Ourse et la Petite Ourse sont visibles pour nous tous les jours de l’année, mais la Croix du Sud n’est jamais visible à nos latitudes. Les étoiles situées en zone équatoriale, sont visibles seulement 11 mois par an en moyenne, et cela après une durée de 1 mois environ où elles restaient invisibles car noyées dans la lueur du Soleil, il s’agit alors d’un lever annuel. « L’astre se lève », c’est la terminologie des grecs, « l’astre redevient visible pour la première fois », c’est la terminologie des chaldéens pour exprimer le même phénomène astronomique qui se produit en fin de nuit, à l’aube, juste avant le lever du Soleil dont il est encore très proche.

 

Lever d’une planète

Attention, le « lever d’une étoile » c’est facile à prévoir, elle redevient visible chaque année à la même date, avec une régularité astronomique absolue.

Le calcul du « lever des planètes » est une autre affaire car elles se déplacent lentement dans les signes du zodiaque d’un tour en 30 ans pour Saturne, d’un tour en 12 ans pour Jupiter. Saturne redevient visible tous les 378 jours en moyenne et Jupiter redevient visible tous les 399 jours en moyenne ; en moyenne car la vitesse des planètes dans le zodiaque varie selon leur position plus ou moins proche du Soleil.

Les Mages chaldéens savaient même que le décalage annuel de Jupiter dans le zodiaque appelé ”arc synodique” variait de 28°15’5 à 38°02’ selon les années : plus petit à l’apogée de Jupiter , plus grand au périgée ce qui entraîne que le « nouveau lever de Jupiter » peut se produire tantôt au bout de 394,34 jours, tantôt après 404,12 jours (Kugler*, 1907, cité par Bigourdan*, 1911).

 

Les levers des signes du zodiaque …et la trigonométrie sphérique

La manière dont les astronomes chaldéens et grecs calculaient la durée du lever (ou du coucher) de chaque signe du zodiaque suscite notre émerveillement. En effet, la durée du lever d’un arc de 30° tracé le long du grand cercle de l’écliptique qui est en oblique par rapport au cercle équatorial relève de la trigonométrique sphérique où les triangles sont tracés sur une sphère et non plus sur un plan ; la somme des 3 angles du triangle n’est plus de 180°. Pour résoudre ce problème, le grand mathématicien Carl Friedrich Gauss, au début du 19e siècle, établit un système de 3 équations à 3 inconnues (consulter par exemple Michel Samoey www.astro-carl.com).

Questions pièges :

Combien de signes du zodiaque peut-on voir au cours d’une nuit ?…L’été où les nuits sont brèves, de 6 heures ?… L’hiver où les nuits sont plus longues, de 12 heures ?

— J’ai envie de répondre : 11 signes du zodiaque été comme hiver, le seul signe du zodiaque que l’on ne peut observer au cours d’une nuit c’est celui où se trouve le Soleil ce mois là. Je sais aussi qu’à nos latitudes il y a toujours 6 signes du zodiaque (½ grand cercle ou 180° de longitude) au-dessus de l’horizon, été comme hiver, et à toute heure de la nuit.

— Oui tu as raison, mais il reste une énigme puisque l’on a 12 signes du zodiaque de longueurs égales, mais qui mettent des durées inégales pour se lever ou se coucher. Géminos de Rhodes, 1er siècle B.C., l’explique ainsi :

« L’été quand le Capricorne [δ=-23°27’] culmine la nuit au méridien, le grand cercle du zodiaque est alors peu incliné sur l’horizon, le lever est rapide car le signe qui se lève se présente presque parallèlement à l’horizon et ses différentes parties font leurs levers presque en même temps ».

Et, symétriquement :

« L’hiver quand le Cancer [δ=+23°27’] culmine la nuit au méridien, le grand cercle du zodiaque est fortement incliné sur l’horizon, le lever est lent car le signe qui se lève se présente presque perpendiculairement à l’horizon ».

Géminos explique que :

« les signes du zodiaque sont égaux en dimensions, [arcs de 30° chacun], mais la durée de leurs levers sont inégales »

et il conclut :

« Dans les nuits d’hiver se lèvent les signes qui sont lents à se lever ; dans les nuits d’été se lèvent, ceux qui sont rapides à se lever ».

Géminos de Rhodes

Ainsi, comme chacun sait, pour tout astre, qu’il défile sur l’équateur ou sur un parallèle, le temps qui s’écoule de son lever jusqu’au méridien est toujours égal au temps qui s’écoule du méridien à son coucher. Mais c’est différent pour un signe du zodiaque, il ne s’agit plus du lever d’un seul point A, mais d’arcs AB de 30°de long : les uns parallèles à l’équateur, les autres inclinés par rapport à l’équateur, certains légèrement inclinés d’autres jusqu’à 23°27’, en positif comme en négatif. Dès lors on sent bien que les signes du zodiaque se présentent sous divers angles par rapport à l’horizon lors de leur lever et lors de leur coucher ; une différence d’inclinaison qui peut atteindre 46° 54’ (2×23°27’) entrainant une forte différence entre la durée du lever de ce signe du zodiaque et la durée de son coucher.

« Il y a des moments, en cours de nuit, où on compte trois signes et demi du levant au méridien et deux signes et demi du méridien  au couchant »

dit Géminos en précisant qu’il a fait ce calcul pour son île de Rhodes ( lat.=36°),

« mais il peut se faire, à la latitude 45°, que l’on compte 4 signes du zodiaque du levant au méridien, et 2 signes seulement du méridien au couchant ».

Géminos l’exprime encore d’une autre manière en disant que :

« certains signes du zodiaque se lèvent en 2h 40m, d’autres en 1h 20m »,

mais aussi :

« le même signe qui se sera levé en 2h 40m se couchera en 1h 20m ».

 

Retour au texte de Matthieu

Les dictionnaires grecs rappellent qu’anatolé, le lever du Soleil, a entrainé la direction de l’Orient, puis la région du Levant, et enfin l’Anatolie (Turquie actuelle), l’Orient pour les habitants de Byzance. Au figuré, anatolé signifie naissance, origine d’une chose ou d’un événement. On peut ajouter pour les lecteurs judéo-chrétiens des prophéties messianiques, de la bible, des évangiles et des épîtres, que anatolé, au figuré, est aussi traduit par « surgeon » ou « germe ».

— Relisons lentement le texte de Matthieu car le mot anatolé y figure à 3 reprises. Le 1er anatolé, « voici que des Mages venus « d’Orient«  c’est correct, il s’agit d’une Direction, d’un Lieu, Matthieu parle dans le langage populaire, dans un contexte géographique, les mages sont venus de quelque part, l’Orient. Le 2e anatolé, ce sont les mages qui parlent : « car nous avons vu son astre « à son lever« , c’est le premier sens du mot, il désigne un Temps, le Temps de l’apparition de l’astre, de la 1ère visibilité de l’astre. Le 3ème anatolé « et voici que l’astre qu’ils avaient vu « à son lever«  est une répétition du précédent, mise dans la bouche des Mages.

Par une coïncidence, malheureuse, les Mages sont venus d’Orient, ils auraient pu venir du Nord ou du Sud. Il s’ajoute une erreur de traduction, issue de la Vulgate latine, avec

« des Mages venus d’Orient »

qui avaient vu

« une Etoile en Orient »

ce qui confirme cette impression que les Mages ont été guidés vers Jérusalem par une étoile, ce qui est impossible, aucun astre dans le Ciel ne peut indiquer un Lieu sur la Terre.

Sur la route de Jérusalem à Bethléem, l’Etoile réapparaît devant les Mages et au-dessus de Bethléem, c’est normal Jupiter et Saturne sont alors au Sud au méridien et très haut dans le ciel, plus haut encore à la latitude de Jérusalem qu’à nos latitudes. Le texte de Matthieu suggère ici encore que les Mages suivent l’Etoile alors qu’en réalité, des guides les conduisent vers cette proche bourgade que le roi Hérode leur a désignée ; aucun risque qu’ils ne s’égarent sur cette route bien connue, ils sont certainement accompagnés par une troupe de curieux, badauds, gamins et mendiants attirés par leur riche et étrange caravane.

— Sur le parcours de Jérusalem à Bethléem, situé au Sud,

« l’astre les précédait jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’Enfant »,

la phrase n’a rien de choquant, c’est ce qui nous apparaît réellement. Dans un voyage en train, par la vitre latérale, la Lune semble nous précéder, nous accompagner, elle demeure dans la même direction tandis que les arbres et les poteaux électriques tout proches défilent à toute vitesse ; tout ceci constitue bien la preuve que la Lune est située à l’infini, du moins très loin. L’Astre semblait arrêté au-dessus de Bethléem, oui, mais si les mages s’étaient trouvés à Babylone se rendant à leur observatoire de Borsippa situé au Sud, ils auraient vu l’Astre arrêté au-dessus de Borsippa. Si l’on se retrouve le nez en l’air, sans repères ni instrument astronomique permettant de mesurer avec précision l’azimut et la hauteur d’un astre au-dessus de l’horizon, on ne peut pas voir de différence 1 ou 2 heures plus tard. La Lune est haute dans le ciel au départ du train, une heure plus tard, à l’arrivée, dans une autre ville, elle l’est encore.

 

La science ardue des levers et des couchers des astres 

Deux ouvrages sont consacrés à cette « science ardue des levers et des couchers des astres » pour reprendre la citation d’Eschyle* dans Prométhée enchaîné. Ce poète grec du 5e siècle B.C. souligne que la connaissance du lever des astres fut essentielle « pour procéder avec ordre et raison et répartir les activités des hommes selon les saisons ». Les traités d’Autolycos de Pitane fl. 330 B.C. et de Géminos de Rhodes  fl. 55 B.C., traduits en français par Germaine Aujac* sont consacrés l’un à La sphère céleste en mouvement, levers et couchers des astres, l’autre à l’Introduction aux Phénomènes célestes.

Les éphémérides en écriture cunéiforme montrent le langage encore plus explicite des astronomes chaldéens : le 3 avril 7 B.C.« Saturne ”sera visible pour la première fois” dans les Poissons… » et le 27 février 6 B.C. « Saturne ”sera visible pour la dernière fois” à la fin des Poissons ».

C’est ce langage chaldéen de ”visibilité de l’astre” et non le langage grec du ”lever de l’astre” que l’on retrouve dans la question que le roi Hérode pose aux Mages :

« Alors Hérode ayant fait appeler secrètement les Mages, apprit d’eux exactement le ”Temps” de ”l’apparition de l’astre”… ».

Hérode ne s’intéresse pas à l’astre, mais au Temps de l’apparition de l’astre afin de connaître la date de naissance du nouveau roi des Juifs.

A elle seule, la fameuse expression ”l’astre à son lever” suffit à exclure les hypothèses d’une supernova ou d’une comète longtemps envisagées pour l’Etoile de Bethléem. Une supernova apparaît n’importe où dans le ciel et à n’importe quelle heure de la nuit, et non impérativement à l’horizon et à l’extrême aube. De même, ”l’astre à son lever” exclut l’éventualité d’une comète ; on peut en découvrir certaines assez bas sur l’horizon mais la chance est infime qu’elle apparaisse à son ”premier lever”. Une comète ne serait pas passée inaperçue, surtout après l’arrivée d’astronomes qui viennent justement pour dire qu’ils ont vu quelque chose dans le ciel, tous auraient alors vu un astre chevelu inhabituel, spectaculaire.

 

Les Phénomènes astronomiques et la fête de l’Epiphanie

Phainomena”, les ”Phénomènes”, ce qui apparaît, qui est visible dans le ciel, est le titre de l’ouvrage de l’astronome Geminos de Rhodes. C’est aussi l’expression que l’on retrouve dans la bouche d’Hérode recevant les Mages : ”Phainomenou astéros, quand il demande le temps de ”l’apparition de l’Astre”.

Phaino, faire briller, faire paraître, rendre visible, est un verbe. Il a donné épi-phanios, qui apparaît, d’où ta Epiphania, ”l’Epiphanie”, utilisé par Jean Chrysostome pour désigner la Nativité.