Un monde qui s’élargit et de nouvelles valeurs qui émergent

 

 

Un monde qui s’élargit et de nouvelles valeurs qui émergent

 

Les messianismes

« Les règnes florissants des rois David et Salomon représentèrent durant soixante ans [dix siècles environ avant l’ère chrétienne] le plus haut degré de gloire et de prospérité temporelle que les Hébreux aient jamais atteint. Désormais tous leurs rêves de bonheur se tourneront vers un roi puissant et pacifique qui règnera d’une mer à l’autre et dont tous les rois seront tributaires. Cette pensée féconde, d’où sortira le Messie, éclos alors au fond de la conscience de ce peuple ».

Ernest Renan*, Etudes d’histoire religieuse

— Oui mais ces prophéties de la bible qu’annoncent-elles ?

— Cela dépend. Chaque prophète envisage l’avenir de son peuple à sa manière et selon l’époque, avant et après l’exil à Babylone, de manière encore plus forte en ce dernier siècle B.C. où l’agitation anarchique des peuples et des esprits était propice à la montée des espérances d’un Messie qui sauvera le peuple. Tantôt un Messie-Roi, tantôt un Messie-Prêtre, et même un Messie-Souffrant. Comme les prophéties étaient faites par des gens ”Sages” et ”Perspicaces”,  dans le nombre, certaines prévisions partielles pouvaient avoir un lien éventuel avec les événements en cours et les croyants pouvaient y reconnaître la venue du Dieu qu’ils attendaient.

— C’est compliqué il faudrait prendre un exemple, si possible un exemple moderne qui s’appuie sur les manuscrits de la mer morte découverts dans les grottes de Qumrân ?

— Justement, John Collins*, 2010, théologien de l’université Yale, vient de montrer comment deux manuscrits araméens de Qumrân – le Florilège (4Q174) et la pseudo Apocalypse araméenne ou Fils de Dieu (4Q246) – s’inspiraient de textes bibliques : le Psaume 2 et le Deuxième Livre de Samuel. Ces psaumes ou cantiques sont des hymnes poétiques qui pendant des siècles ont soutenu l’espérance du peuple juif pendant les vicissitudes et l’ont gardé dans la gloire promise aux Justes.

— Je vais lire le Psaume 2 :

« Pourquoi sont-ils dans le tumulte des nations,

 et les peuples grondent-ils en vain ?

Les rois de la terre s’insurgent,

les princes tiennent tête à Yahvé et à son Messie […]

Yahvé m’a dit : ”Tu es mon fils ! aujourd’hui je t’ai engendré.

demande -moi et je te donnerai les nations pour héritage ;

et en ta possession les extrémités de la terre” […]

Servez Yahvé avec crainte, et réjouissez-vous en tremblant !

Embrassez le fils de peur qu’il ne se fâche ! […]

Heureux tous ceux qui cherchent refuge en lui ! ».

Psaume 2

Je continue avec le deuxième Livre de Samuel 7, 1-16, Yahvé annonce au roi David qu’il va lui donner une dynastie royale :

« Et quand tes jours seront accomplis et que tu seras couché avec tes pères, j’élèverai ta postérité après toi, celui qui sortira de tes entrailles, et j’affirmerai sa royauté. […] Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils. […] Ton trône sera affermi à jamais ».

Deuxième Livre de Samuel 7, 1-16

— John Collins* a montré que les textes de Qumrân, le Florilège (4Q174) et l’Apocalypse araméenne (4Q246), ont leurs sources d’inspiration dans ces Psaumes qui remontent au temps du roi David, d’autres au temps de l’exil à Babylone. Ces textes de Qumrân, comme le démontre John Collins, puisent dans ces psaumes les expressions ”Fils de Dieu” et ”Fils du Très-Haut” et font référence à un règne éternel. On les retrouvera plus tard dans l’évangile de Luc lors de l’Annonciation à Marie, mais, attention, Luc ne fait pas de référence aux prophéties, il met ces mots dans la bouche de l’ange Gabriel.

 

De la preuve par la Notoriété à la preuve Expérimentale

C’est vrai parce que les prophètes l’ont dit, parce que c’est écrit dans la bible, parce qu’Aristote l’a dit. C’est vrai parce que je l’ai vu à la télé, parce que l’institutrice l’a dit, parce que c’est écrit dans mes cours de fac. Parfois même on utilise les grands moyens pour essayer de convaincre : « C’est vrai parce qu’un Prix Nobel l’a dit ». On se surprend soi-même à utiliser cette ”preuve par la Notoriété” sinon il faudrait à chaque fois décliner des siècles de recherches universitaires.

Depuis Galilée, avec la mesure du mouvement accéléré d’une bille sur un plan incliné, et Pascal, avec l’expérience du baromètre au Puy de Dôme, les physiciens utilisent la ”preuve Expérimentale” qui supplée la ”preuve par la Notoriété”. Hélas, même aujourd’hui, cette méthode ne s’applique ni aux sciences historiques ni aux sciences sociales pourtant à la recherche de méthodes rigoureuses.

Quelques mots sur une Expérience de Pascal qui permit de résoudre une énigme incompréhensible : quand le puits est trop profond l’eau ne monte plus dans les pompes :

« La nature a horreur du vide »

répétait-on pendant des millénaires en guise d’explication. Pascal répondit :

« l’horreur est un sentiment, la nature ne peut avoir de sentiment ».

Au pied du puy de Dôme, il nota la hauteur de la colonne de mercure, 76 cm, il renouvela l’expérience au sommet : le niveau de mercure avait baissé par le seul fait du changement d’altitude, car le mercure est contrebalancé par la hauteur de la colonne d’air atmosphérique situé au-dessus de nos têtes. La couche atmosphérique fait monter le mercure à 76 cm et l’eau à 10 mètres. (Pascal*, Equilibre des liqueurs).

 

Cycles mythologiques, cycles astronomiques, cycles historiques

Aujourd’hui, depuis l’avènement des sciences, depuis la prise de conscience de l’évolution des espèces, depuis les idées de progrès, le déroulement de l’Histoire est linéaire. On parle du Sens de l’Histoire mais les civilisations anciennes imaginaient des cycles Historiques, qu’ils tentaient de calquer sur les grands cycles Astronomiques. Platon avait même calculé une ”Grande Année” (superlongue, plusieurs milliers d’années) au terme de laquelle toutes les planètes se retrouveraient dans le même signe du zodiaque, une réinitialisation du monde, une nouvelle ère historique.

Dans la mythologie grecque primitive Ouranos, le ciel étoilé, succède à Gaia. Son fils Cronos le chasse et devient à son tour le dieu suprême du monde. Cronos, la planète Saturne, la plus lente, est le dieu du Temps. Cronos veut  arrêter le progrès mais son fils Zeus-(Jupiter), victorieux du combat, enchaîne son père et devient le dieu des dieux. Une nouvelle ère commence. Dès l’époque de la guerre de Troie et pour les temps classiques Jupiter resta le dieu des dieux adoré des Hellènes.

Pour les astronomes qui mesuraient le Temps, Saturne et Jupiter, les deux planètes aux longues périodes étaient les deux ”cronodateurs”. Leurs conjonctions dans tel ou tel signe du zodiaque donnaient prétexte à des interprétations astrologiques, mieux encore les curieuses et rares triples conjonctions, étaient un signe du ciel annonçant un monde nouveau.

 

Apogée de l’Empire Romain

Depuis Pythagore, cinq siècles auparavant, le monde savant savait que la Terre était ronde. Avec les conquêtes grecques sur les rives nord de la méditerranée occidentale et les implantations phéniciennes de Carthage aux Colonnes d’Héraclès, le monde grec s’étendait au bassin méditerranéen ; Après les conquêtes d’Alexandre le Grand en Perse et jusqu’en Inde, il s’étendit au Moyen-Orient et à l’Asie. Toujours au 4e siècle B.C., l’expédition maritime de Pythéas le Massaliote découvre les îles Britanniques et nordiques jusqu’en Thulé (Islande), la Norvège et la mer Baltique jusqu’au pays des Estiens (Estonie). Avec les conquêtes de Jules César, l’empire Romain atteint son apogée sous le règne d’Auguste. Auguste impose une Paix Romaine sur tout les rivages méditerranéens et le monde habité. Cette époque coïncide avec la fin du royaume d’Hérode. L’Empire Romain impose son Pouvoir politique, militaire, administratif et financier. Une organisation laïque, avec du pain et des jeux, distincte du Pouvoir dogmatique du Temple et des Prêtres ; une sorte de super-Etat sans religion tant les dieux romains étaient restés infantiles et frivoles. Une nouvelle ère.

 

« Les premières origines du christianisme sont là »

— Ernest Renan*, porte-drapeau des rationalistes, exclu du Collège de France par Napoléon III pour avoir dit de Jésus qu’il fut « un homme incomparable» (« Dieu fait homme » pour les chrétiens), a montré que les valeurs essentielles du christianisme naquirent progressivement à partir d’Isaïe :

« …Isaïe mit l’accent, avec une force incroyable, sur l’essentiel de la religion : ce ne sont pas les sacrifices, ce n’est pas le sang des taureaux, des agneaux et des boucs qui plaisent à Dieu, ni les solennités et les fêtes ; c’est l’offrande d’un cœur pur, c’est l’amour de la justice, c’est la pitié pour la veuve et l’orphelin ».

«…Autant l’avenir profane d’Israël semblait détruit sans retour, autant ses destinées religieuses s’agrandissaient. Les derniers temps du royaume de Juda présentent l’un des mouvements religieux les plus étonnants de l’histoire. Les premières origines du christianisme sont là. »

« …Le culte se centralise de plus en plus à Jérusalem ; la prière commence. Le mot de dévotion qui ne correspond à rien dans l’ancienne religion patriarcale, commence à avoir un sens. Des Cantiques composés par des lettrés et empreints de quelque rhétorique réchauffent dans les âmes le message de Yahvé transmis par Moïse. Une profonde modification se manifeste en même temps dans la manière de sentir. Un esprit de douceur, un sentiment délicat de compassion pour le faible, l’amour du pauvre et de l’opprimé, avec des nuances inconnues de l’Antiquité, se font jour de toutes parts. La prophétie de Jérémie et le Deutéronome sont déjà sous ce rapport des livres chrétiens. L’amour, la charité naissent dans le monde. Endurci contre les déceptions, habitué à espérer contre l’espérance, Israël en appela de la lettre à l’esprit. L’idée d’un royaume spirituel de Dieu et d’une loi écrite non sur la pierre, mais dans les cœurs, lui apparut comme l’aurore d’un nouvel avenir ».

Ernest Renan*, Etudes d’histoire religieuse