Du Bureau des Longitudes à http//www.stellarium.org

 

 

Du Bureau des Longitudes à http//www.stellarium.org

 

 — Je vois les boucles de la Seine.

— On n’a pas le temps d’aller au Louvre, on ne verra pas les tablettes de la Création des astres déchiffrées par Thureau-Dangin, ni celles de l’Ecole d’Uruk qu’il publia en 1922 ; cette Ecole d’astronomie, comme celles de Babylone et de Sippar sont citées par Pline. Voici, l’Observatoire de Paris et le Bureau des Longitudes, ce haut lieu de la Mécanique Céleste où résonnent les noms de ses célèbres Géomètres et Astronomes : Lagrange et Laplace, Delambre pour ses tables de position des planètes, Le Verrier pour les orbites planétaires, Delaunay pour le mouvement de la Lune, et aujourd’hui des chercheurs de l’IMCCE, Institut de Mécanique Céleste et de Calcul des Ephémérides : Bretagnon et Simon qui ont établi de nouvelles tables de positions des planètes, et Laskar qui a calculé le ” balourd ” que Jupiter et Saturne pourraient provoquer à très long terme dans le système solaire (théorie du chaos).

 

Stellarium

— Regarde comme c’est facile aujourd’hui, plus besoin des calculs de Képler pour voir l’étoile de Bethléem. Sur n’importe quel PC ou Apple je peux télécharger gratuitement le logiciel stellarium  www.stellarium.org ; sur l’écran je peux visualiser le ciel étoilé, tel qu’il était 99 999 ans avant notre ère ou sera en l’an 100 000  de notre ère, et pour tous les points de la Terre.

— Oui, tu as de la chance, c’est le fruit des mesures et des calculs des astronomes depuis les Sumériens jusqu’aux astrophysiciens de la Nasa et de l’Esa. Imagine-toi que le meilleur calculateur, Charles Delaunay, 1860, mit une dizaine d’années à établir la Théorie du Mouvement de la Lune, avec, entre autres, une équation de 461 termes et 138 pages qui ne put être vérifiée qu’un siècle plus tard avec le Cray de l’Ecole polytechnique.

— Regarde, je choisis d’abord l’année, le mois, le jour, l’heure, minutes et secondes ; attention il convient d’afficher ”-6” pour l’an 7 B.C. Comme site d’observation, je choisis Babylone, les éphémérides viennent de là et les mages l’ont vu là ; Babylone est la même latitude que Bethléem, et d’ailleurs les planètes, situées sur l’écliptique, sont visibles de tout le monde habité, avec un léger décalage de fuseau horaire. Je positionne le Sud en face de moi comme les astronomes ; les marins eux s’orientent face au Nord, au compas. Les étoiles, les planètes et les galaxies sont là, les constellations et le zodiaque sont dessinées. Je vais chercher cette Etoile de Bethléem, en cliquant sur Jupiter ou sur Saturne, je peux ouvrir un encadré détaillé de ses coordonnées et magnitude, je peux même faire apparaître ses satellites. Je fais apparaître la ligne d’horizon (de couleur verte) et surtout l’écliptique (ligne bleu) et l’équateur (ligne rouge) avec le point d’équinoxe situé à leur intersection, au début de notre ère il était alors dans la constellation des Poissons à la limite du Bélier.

— Comme exemple tu pourrais prendre la date du -5/2/21, en 6 B.C. vers 17 heures.

— J’y suis, le Soleil vient de se coucher, suivi de Saturne, Mars, Jupiter et la Lune, les cinq astres se couchent plein Ouest alors que d’ordinaire leurs couchers s’échelonnent du Sud-Ouest au Nord-Ouest, ils descendent presque à la verticale.

— Tiens, tiens, cela me fait penser à une lettre d’Ignace d’Antioche au Ier siècle où il décrit « un cortège d’astres, accompagné de la Lune et du Soleil ». Allons comparer le phénomène astronomique et la description de l’étoile de Bethléem dans les premiers textes évangéliques.

— Par curiosité, je voudrais vérifier si l’éclipse de Soleil prévue pour le 18 avril de 6 B.C. a eu lieu. Oui, la Lune était bien sur l’écliptique, l’éclipse a bien eu lieu, malheureusement le Soleil venait de se coucher à Babylone, en Crête ils l’auraient vu.

— Tu contrôleras plus tard si les prévisions de ces tablettes-éphémérides sont correctes. Je n’ai aucun doute pour Jupiter tout est correct au jour près. Pour Saturne c’est également parfait pour les dates de son opposition au Soleil, et de sa première et dernière visibilité, mais ils se sont trompés d’une semaine pour les dates de la 1ère et 2e station car ils ont surcorrigé sa vitesse au périgée, je t’expliquerai.


stelarium

Image www.stellarium.org, Remerciements de l’auteur.

« Cet astre jetait un éclat qui surpassait celui de tous les autres astres. Le soleil, la lune et les autres astres lui servaient comme de compagnie, et formaient son cortège. Il dominait sur tout cela par son éclat, et tout le monde était dans l’admiration en considérant cette nouvelle lumière ».

Lettre d’Ignace d’Antioche aux Ephésiens

Au-dessus de l’horizon (la ligne verte) ”l’Astre”, Jupiter, accompagné de Saturne et Mars ; la Lune, au-dessus, ferme le cortège cette nuit-là. Au-dessous de l’horizon le Soleil qui vient de se coucher ; en fin de nuit, à l’aube, Vénus puis Mercure apparaîtront à l’Est avant le lever du Soleil.


 

 

Rythme des conjonctions ordinaires de Jupiter et de Saturne

Jupiter parcourt le zodiaque en 12 ans et Saturne en 30 ans. La fréquence de leurs rendez-vous (leurs conjonctions) est encore un problème de ”courriers”, c’est ainsi que l’on appelait ces problèmes du certificat d’études au 19: une diligence effectuait un circuit navette dans les villages pour amener les voyageurs à la gare de la ville à l’heure de la correspondance. Faisons un calcul grossier avec des chiffres arrondis : au bout de 12 ans Jupiter aura fait 1 tour, et au bout de 20 ans (12+8) Jupiter aura parcouru 1 tour + 2/3 de tour, tandis que Saturne en 20 ans aura parcouru 2/3 de tour seulement, puisqu’il lui faut 30 ans pour faire 1 tour. Jupiter et Saturne sont alors au rendez-vous, et Jupiter prend 1 tour d’avance.

Après une conjonction initiale numérotée ”0” dans un signe du zodiaque, la conjonction suivante de Jupiter et de Saturne se déroulera 20 ans plus tard dans une autre partie du zodiaque, à 120° environ, une deuxième conjonction 40 ans plus tard à 240°, et une troisième, 60 ans plus tard, reviendra dans le signe du zodiaque d’origine ”0”, avec un décalage de 8° si l’on prend les chiffres exacts. Ces trois signes du zodiaque sont situés en ”trigones”, Képler reprend ici la terminologie des astrologues, mais ce ne sont pas des triangles équilatéraux rigoureux, les longitudes des conjonctions se décalent à un rythme tel que 102°, 122°, 130°, 102°, 122°…. En effet les trois angles parcourus dans le zodiaque ne sont pas égaux car les vitesses de Jupiter et de Saturne sont plus rapides quand elles sont au ”péri-hélie ” au plus près d’hélios le Soleil, et plus lentes quand elles sont à l’” ap-hélie ” au plus loin du Soleil. En raison du décalage moyen de 8°, après tantôt 3 fois 60 ans, tantôt 4 fois 60 ans, les conjonctions se produiront désormais dans les 3 signes zodiacaux adjacents, puis dans 3 autres signes adjacents et enfin dans les 3 derniers signes du zodiaque situés, eux aussi situés en trigone.

Prenons un exemple en sélectionnant les conjonctions de Jupiter-Saturne qui vont se produire dans le signe des Poissons. Il y eut une série de 4 conjonctions (dont celle de 7 B.C.) entre 125 B.C. et 54 A.D. ; une 2e série, 3 conjonctions entre 729 et 848 ; une 3e série, 3 conjonctions entre 1464 et 1643 ; tandis qu’une 4e série de 3 conjonctions est prévue entre 2259 et 2378. Et ainsi de suite pour les autres signes du zodiaque ; tout est alors comblé, de 20 en 20 ans. En tout 13 conjonctions Jupiter-Saturne dans la constellation des Poissons pour une période de 3100 ans environ, et 1 seule d’entre elles était une triple conjonction, celle de 7 B.C.

 

Rythme des triples conjonctions de Jupiter et de Saturne

Les simples conjonctions de Jupiter et de Saturne se produisent donc régulièrement, tous les 20 ans en moyenne ; Jupiter dépasse alors Saturne, sans retour en arrière.

Les triples conjonctions sont rares, il faut qu’au moment où le Soleil, Jupiter et Saturne sont alignés, la Terre soit elle-même située dans la bonne perspective c’est à -dire : très proche de cet alignement, située entre Soleil et Jupiter, et dans un créneau de plus ou moins 20 jours en moyenne. C’est en raison de cette position particulière de la Terre durant ces 40 jours que Jupiter et Saturne semblent repartir en arrière avant de reprendre leur course ordinaire après 3 dépassements ou conjonctions.

Les triples conjonctions sont 9 fois plus rares, tous les 180 ans en moyenne, elles sont très irrégulières, mais toujours un multiple de 20 ans : aussi bien 2×20 ans, 4×20 ans,…, que 15×20 ans, 17×20 ans et même 19×20 ans ; à l’époque Babylonienne il s’était écoulé 380 ans sans aucune triple conjonction.

Il y a peu de chances de voir se reproduire, à moins de 15 000 ans, l’enchaînement d’une triple conjonction Jupiter-Saturne et d’une Grande Conjonction Mars-Jupiter-Saturne à 5° seulement du point d’équinoxe.

 

Les périodes orbitales de Jupiter et Saturne selon les chaldéens

Pendant plusieurs siècles, sans aucune discontinuité, les chaldéens avaient enregistré les cycles des planètes dans le zodiaque. Ils avaient noté que Jupiter avait parcouru 36 fois le zodiaque en 427 ans après avoir rejoint le Soleil 391 fois, et donc ils savaient que Jupiter effectue un tour dans le zodiaque en 11,861 ans avec seulement 1 jour d’écart par rapport aux valeurs modernes. Ils avaient également compté que Saturne parcourt 9 fois le zodiaque en 265 ans après avoir rejoint le Soleil 256 fois, et donc que Saturne effectue un tour en 29,444 ans avec 5 jours d’erreur seulement. Avec une telle précision ils savaient que Jupiter et Saturne se retrouvent en conjonction tous les 19,862 ans ”en moyenne”. Mais ces astronomes ne se contentaient pas d’une date ”moyenne” de retour, ils savaient calculer la date exacte des nouvelles conjonctions en tenant compte de la vitesse de Jupiter et de Saturne au voisinage de leur apogée ou de leur périgée.

Pour Jupiter, les paramètres d’orbite étaient particulièrement précis et détaillés, et, par chance, ils ont tous pu être conservés ce qui n’est pas le cas pour Saturne. Les chaldéens avaient ainsi mesuré que le déplacement moyen de Jupiter le long de l’écliptique entre deux oppositions de Jupiter au Soleil était de 33°08’45’’ avec une erreur infime de 1’’5 par rapport aux tables de Le Verrier ; une précision inouïe de 1 sur 80 000 qui leur aurait permis de discerner les perturbations de Saturne sur Jupiter selon les travaux de Kugler* cités par Bigourdan*.

 

Vitesses de Jupiter et de Saturne au périhélie et à l’aphélie

Les chaldéens, de bons observateurs, avaient repéré que Jupiter et Saturne ne se déplacent pas à la même vitesse au périhélie au plus près du Soleil, et à l’ap-hélie au plus loin du Soleil. En raison de la position de la Terre et en raison de cette anomalie des vitesses de Jupiter et de Saturne, le temps qui s’écoule entre deux conjonctions successives varie entre 18 ans 10 mois et 20 ans 8 mois; les tablettes chaldéennes pour 7/6 B.C. ont prévu le retour de cette conjonction au jour près : le 15 septembre 7 B.C.

Les chaldéens mesuraient méthodiquement le déplacement de Jupiter et de Saturne dans le zodiaque. Entre deux réapparitions successives de la planète, ils comptaient 399 jours en moyenne pour Jupiter et 378 jours pour Saturne nous en reparlerons en parlant des levers des astres. Ils avaient mesuré que le déplacement annuel de Jupiter dans le zodiaque était maximum dans les Poissons 38°02’ et minimum dans la Vierge 28°15’30’’ ; un écart important de 10°, facile à mesurer. Ils fixaient le périhélie de Jupiter dans les Poissons à 9°5 de longitude.

Pour Jupiter les chaldéens avaient partagé le zodiaque en 4 zones : 1 au périgée, 1 à l’apogée, 2 zones intermédiaires. Voici les valeurs de ces déplacements ou ”arcs synodiques” selon leur position dans le zodiaque : 36° dans la zone Capricorne-Verseau-Poissons-Bélier à forte vitesse, 33°45’ dans la zone Taureau-Gémeaux à vitesse intermédiaire, 30° dans la zone Cancer-Lion-Vierge-Balance à faible vitesse et 33°45’ dans la zone Scorpion-Sagittaire à vitesse intermédiaire.

— Voilà je me sens armé pour vérifier les prévisions des éphémérides de l’année 7/6 B.C. Je me connecte sur stellarium. Pour Jupiter les 5 dates des 5 positions-clés orbitales sont précises à un jour près. Pour Saturne les dates sont correctes pour le premier lever comme pour le dernier coucher, mais je me demande si les rois mages qui avaient  calculé le jour du retour de Saturne ont pu l’observer le jour de son premier lever car Saturne (magnitude 1,14), plus faible que Mercure (magnitude -0,28) et plus proche du Soleil, devait être difficile à observer. La date de l’opposition de Saturne au Soleil est également correcte, peut-être la date du 14 septembre irait-elle mieux que le 15 ? Je suis étonné de trouver 18 jours d’erreur pour la 1ère station de Saturne et 8 jours d’erreur pour la 2e station.

— C’est exact, ils avaient calculé 110 jours entre les deux stations de Saturne alors qu’en moyenne c’est proche de 136 jours. Leurs tables de Saturne n’avaient que deux zones, celle du périgée à fort déplacement et celle de l’apogée à faible déplacement, mais le périgée de Saturne n’est pas situé dans les Poissons, Saturne était alors dans une zone à vitesse intermédiaire, ils auraient du effectuer leurs calculs avec sa vitesse moyenne plutôt que de sur-corriger à l’excès.

 

Callisthène et l’astronomie chaldéenne

Ne quittons pas l’Observatoire de Paris sans parler de Guillaume Bigourdan*, le premier astronome qui fit connaître en France les découvertes des premiers assyriologues Epping, Strassmaier et Kugler. Son livre L’astronomie, 1911, explique à merveille l’astronomie chaldéenne et grecque ; il reste sur ce sujet un livre solide et abordable en langue française.

— Nous aussi les astronomes-amateurs on utilise souvent le livre de Bigourdan* qui retrace les méthodes de l’Astronomie depuis les chaldéens et les grecs jusqu’au 19e siècle, mais ce n’est pas si simple pour comprendre le mouvement des planètes, heureusement on a stellarium à côté.

— Bigourdan* est aussi l’astronome dessiné par Hergé dans ”l’Etoile mystérieuse : on le voit brandir avec joie le spectre d’un nouveau métal, le ”callisthène”, spectrographié dans cet aérolite qui tombera dans les mers polaires. Hergé a donné à l’Astronome de l’Observatoire de Paris le nom de Callisthène, un bel hommage à son travail.

En effet Callisthène, 360-320 B.C., est l’astronome grec qui, à la demande d’Aristote, accompagna Alexandre le Grand dans ses conquêtes en Asie, il recueillit les connaissances astronomiques des Chaldéens qui remontaient à 1903 ans auparavant selon Bérose. L’astronomie chaldéenne était alors à son apogée marquée par les noms de Kaksidi et Nabouramanni au 5e siècle B.C., puis Kidinnu au 4e siècle B.C.

Mais, que nous apprend l’évangile de Matthieu sur l’Etoile et les Mages ?