Balaam et les Mages dans la littérature hébraïque, araméenne, perse, arabe, arménienne et chrétienne

 

 

Balaam et les Mages dans la littérature hébraïque, araméenne, perse, arabe, arménienne et chrétienne

 

 — On sait maintenant que les Mages avaient prévu cette triple conjonction, mais alors, pourquoi ne sont-ils pas restés dans leur observatoire pour vérifier si son déroulement était conforme à leurs calculs ?

— Ils sont sans doute restés et ont envoyé une ambassade.

— Pourquoi ces ambassadeurs ont-ils pris la direction de la Judée ?

— C’est la bonne question. Ces astronomes qui prévoyaient les éclipses et les conjonctions des planètes dans les signes du zodiaque en usaient pour des présages astrologiques annonçant les grands événements du Royaume : les guerres, chance de Victoire ou risque de Défaite, avènement d’un nouveau Roi ou d’une nouvelle dynastie. Ils ne pratiquaient pas les horoscopes individuels comme aujourd’hui selon le jour de la naissance de chacun, seulement les grands changements politiques. Ces savants, conseillers influents des Rois et des Princes, décidaient du temps de la Paix et du temps de la Guerre, ils formulaient des Oracles concernant l’avenir du royaume. On a retrouvé trace de l’un d’eux en Phénicie, au 8e siècle B.C. : Balaam, fils de Béor originaire de Mésopotamie. Ce nom de Balaam (un mot issu de Bel, un dieu de Mésopotamie) réapparaît des siècles plus tard dans la bible où un dénommé Balaam, un païen donc, plaide en faveur de ses ennemis, le peuple d’Israël ; il prononce son Oracle : le lever d’un astre annoncera un nouveau roi parmi les descendants de Jacob.

Origène*, 185-254, Docteur de la bibliothèque de Césarée, de langue hébraïque et grecque, rapporte les traditions chrétiennes et juives du Ier siècle :

« Les Mages, [disait-il], voyant un signe venu de Dieu dans le ciel, désirèrent voir ce qu’il désignait…ils possédaient les oracles de Balaam ».

Origène* ajoutait :

«  Si les oracles de Balaam ont été introduits dans les livres sacrés à combien plus forte raison ont-elles été accueillies par les habitants de la Mésopotamie, chez lesquels Balaam avait grande réputation et qui sont connus comme ses disciples en magie. C’est à lui que la tradition fait remonter dans les pays d’Orient l’origine des Mages, qui, possédant chez eux le texte de toutes les prophéties de Balaam, avaient entre autres : une étoile sortira de Jacob et un homme se lèvera d’Israël. Les Mages possédaient ce texte chez eux. Aussi, quand naquit Jésus, ils reconnurent l’étoile et ils comprirent que la prophétie était accomplie».

Origène*

Le récit épique d’un Moabite félon

Le roi du pays de Moab, apeuré par les victoires d’Israël son nouveau voisin, envoie Balaam en ambassade pour maudire Israël avant de l’affronter. La bible indique « Balaam fils de Béor, à Pétor, sur le Fleuve [l’Euphrate], au pays des fils d’Ammav [connu par d’anciens textes cunéiformes] ». Voici un bref résumé de ce récit légendaire de la Bible, (Nombres 22 à 24) :

Balaam, monté sur son ânesse part en ambassade mais Yahveh intervient pour imposer sa réponse. Balaam affronte trois épisodes rocambolesques : un ange armé d’une épée barre la route et l’ânesse s’écarte à travers champs ; l’ange se tient alors dans un chemin creux, au milieu des vignes, avec un mur à droite et un mur à gauche l’ânesse s’échappe et Balaam la frappe à nouveau ; l’ange se tient alors dans un passage resserré où il n’y a pas d’espace pour passer, ni à droite, ni à gauche, l’ânesse se coucha alors sous Balaam. Yahvé ouvrit les yeux de Balaam, il vit alors l’Ange de Yahvé posté sur la route, son épée nue à la main. Balaam désormais loue et bénit son ennemi Israël au lieu de le maudire ; le moabite félon est alors chassé par son roi. Il prononce alors son dernier oracle prévoyant l’avenir heureux d’Israël :

 

Oracle de Balaam

 Je vais lire le texte :

« Oracle de Balaam, fils de Béor,

oracle de l’homme au regard pénétrant,

oracle de celui qui sait la science du Très-Haut,

Je vois ce qui arrivera mais ce n’est pas pour aujourd’hui

Je discerne un événement, mais il se produira plus tard :

Un astre se lève de Jacob,

Un souverain se dresse issu d’Israël… ».

Bible, Nombres 24, 16-17

Balaam se présente comme un devin qui connait la science, c’est certainement un astrologue chaldéen. Son oracle se distingue de toutes les autres prophéties qui portent sur l’attente d’un Messie, par deux mots astron (un astre) et anatolé, (le lever, l’apparition d’un astre) précisant qu’un astre dans le ciel annoncera sa venue. C’est une constante dans toutes les civilisations, un signe céleste annonce la venue d’un personnage important qu’il soit Pharaon, Empereur, Roi, Messie ou Prophète. On retrouve aussi le mot anatole dans l’évangile de Luc (1-78) mais ici au sens figuré, une lumière qui annonce une ère nouvelle, par opposition aux ténèbres marquant les périodes de guerre et de barbarie ; dans le christianisme Jésus est souvent appelé ”Lumière”.

 

La bible et l’astronomie

Dans la bible plusieurs prophéties annoncent la venue d’un messie, mais l’oracle païen de Balaam qui est ”réécrit” dans Nombres 22-24 est la seule prophétie annonçant qu’un astre dans le ciel sera le signe d’un nouveau Roi. Cette intrusion de l’astronomie dans la bible est étonnante car elle y a toujours eu une part congrue, dérisoire, si on la compare à l’astronomie assyrienne et babylonienne, puis à celle des grecs et des séleucides.

Dans la Genèse, le premier livre de la Bible, il est question de la création des luminaires, le Soleil et la Lune, et des étoiles  jamais de planètes ni de l’écliptique alors que mille ans plus tôt, en Mésopotamie, pays de Sumer, le poème de la Création, Enüma elish, parlait des 36 étoiles et des 12 constellations qui marquaient l’écliptique, la route des planètes.

On retrouve bien des traces d’astronomie dans le livre de Job mais comme l’a fort bien montré Ernest Renan elles sont dans la bouche de l’un de ses interlocuteurs, un étranger de la tribu iduméenne de Théman célèbre par ses ”sages” (cités par Jérémie, Obadia, Baruch) ; on attribue la provenance de leurs poèmes gnomiques et astronomiques aux rois arabes Lemuel et Agur.

 

L’oracle de Balaam et le Testament de Lévi

Quittons la Bible pour les écrits juifs apocryphes à la charnière du christianisme, 150 B.C. à 100 A.D., des manuscrits qui ont souvent subi des ajouts chrétiens. Cette littérature, poèmes sibyllins et textes apocalyptiques, permet de comprendre le développement de l’idée messianique au cours de cette époque d’exaltation qui débute sous le règne d’Antiochus Epiphane par le pillage du Temple suivi de la révolte des Macchabées.

La fin du Livre de Daniel, ouvre la voie à ces visions apocalyptiques et à  ces poèmes sibyllins. Citons le Livre d’Hénoch et l’Assomption de Moïse qui seront fort lus dans l’entourage de Jésus (Epître aux Hébreux), les Testaments des douze Patriarches et plus tard le quatrième Livre d’Esdras et l’Apocalypse de Baruch. Dans ces ouvrages on retrouve les expressions « lumière des nations » (Luc), « son existence n’aura pas de fin », « Fils de l’homme » et « Fils du Très-Haut » et de nombreuses répétitions de l’oracle de Balaam.

L’un de ces textes pré-chrétien, écrit au futur, le Testament de Lévi utilise successivement astron (l’astre) et anatélei (le lever/la première visibilité de l’astre) qui paraphrasent l’oracle de Balaam en ajoutant un troisième terme d’astronomie ouranos (le ciel) :

« L’astre prédit par le nouveau prêtre se lèvera dans le ciel tel une lumière qui s’allume pour nous révéler le Dieu-Roi ».

Testament de Lévi 

Cette phrase de l’oracle de Balaam, traduite par Marie-Hélène Georgelin 2014*, indique sans équivoque que les juifs de l’époque voyaient en cet astre une réalité dans le ciel comme plus tard de nombreux Pères de l’Eglise autour d’Origène.

Seuls quelques rares exégètes chrétiens modernes continuent hélas d’interpréter l’astre prédit par Balaam comme ”symbolique” et désignant le Messie lui-même et non comme un phénomène astronomique : prévision astronomique ou, à défaut présage astrologique. Les mêmes voient en l’Etoile de Bethléem un ”symbole”.

 

Balaam et l’inscription de Deir Alla

En 2008, André Lemaire*, spécialiste de la littérature araméenne a retrouvé à Deir Alla, sur un mur de brique, une inscription à l’encre rouge et noire faisant référence à Balaam, présenté comme un astrologue visionnaire  :

« Ces inscriptions de Deir Alla, datant du 8e siècle B.C., sont apparemment copiées d’un manuscrit littéraire rédigé à une époque plus ancienne. L’une de ces inscriptions, le

”livre de Balaam, fils de Béor, l’homme qui voyait les dieux”

concerne le voyant-prophète que l’on peut identifier avec le héros du livre biblique. Les inscriptions de Deir Alla nous ont révélé du même coup l’influence que cette littérature araméenne archaïque a exercé sur la littérature hébraïque antique de la Bible ».

André Lemaire*, 2008

Balaam ! et Zoroastre ! des sources syriaques

L’Evangile de l’Enfance, aujourd’hui disparu, est un texte en syriaque qui remonterait au 5e siècle. Il a servi de sources aux évangiles de l’enfance élaborées tardivement en latin, en grec, en arabe, en arménien et même en slavon. Ces récits sont des légendes qui prêtent à Jésus, encore enfant, des miracles fantastiques, même dès le berceau lors d’un hypothétique voyage en Egypte.

Concentrons-nous sur l’Evangile arabe de l’Enfance et sur le Livre arménien de l’Enfance qui sont instructifs sur l’étoile et les mages, et sur l’oracle de Balaam-Zoroastre. Ces textes ont été traduits par Paul Peeters*, 1914, à partir de manuscrits qui s’échelonnent du 5e au 19e siècle .

 

Evangile arabe de l’Enfance

L’Evangile arabe de l’Enfance débute par cette phrase « Il y eut, à l’époque du prophète Moyse un homme, initié aux sciences, appelé Zaradüst [Zoroastre] ». L’auteur, un métropolite copte du Moyen Age, poursuit : « ce Zaradüst n’est autre que Balaam l’astrologue ». Tous les manuscrits arabes connus mentionnent l’oracle de Zoroastre.

Ce récit légendaire se poursuit ainsi :

« les Perses, des adorateurs du feu et des étoiles, virent qu’une étoile ardente s’était levée sur la Perse. Quel est ce signe que nous voyons ? Et, comme par divination, ils dirent : ”Le roi des rois est né, le dieu des dieux est venu nous annoncer sa naissance pour que nous allions lui offrir des présents et l’adorer”

.Voici que des Mages arrivèrent d’Orient à Jérusalem selon ce que Zoroastre avait préditLes Mages, trois rois, fils des rois de la Perse, se présentent devant Hérode, fort inquiet pour son modeste royaume, de voir les rois de ce vaste empire venir ”se soumettre” en offrant or, encens, et myrrhe ».

Evangile arabe de l’Enfance

— Attends un peu, Balaam ou Zoroastre, la tonalité astronomique reste la même c’est toujours un astre dans le ciel qui annonce une nouvelle ère, la venue d’un nouveau roi des rois, mais à part cela je ne vois aucun rapport avec le récit de la bible, l’oracle ne fait mention : ni de Yahveh, le Dieu unique, ni du futur héritier du roi David, ni du peuple d’Israël.

— Oui, tu as raison. Dans la bible, Balaam le Moabite, félon contre son gré, avait été forcé de modifier son oracle astrologique en faveur d’Israël.

— Le dieu des dieux”, dont parle Zoroastre, je le connais ! C’est Zeus dans la mythologie grecque, Jupiter pour les Romains. La planète Jupiter domine les autres planètes par son éclat.

— Oui et pour les chaldéens aussi la planète Jupiter était dédiée à Marduk le dieu suprême de Babylone. Dans l’Empire des Séleucides, de la Mésopotamie à la Syrie, les cultures astronomiques et mythologiques chaldéennes et grecques s’étaient fondues dès les conquêtes d’Alexandre. Les manuscrits syriaques, arméniens et arabes, des évangiles de l’enfance  viennent de là. L’astronomie y était alors à son apogée avec les astronomes Kidinnu et Séleucos de Séleucie en liaison avec l’astronome grec Callisthène dont nous avons déjà parlé.

 

Livre arménien de l’Enfance

Dans le Livre arménien de l’Enfance les trois Rois Mages : Melkon, roi des Perses, Gaspar, roi de l’Inde, Balthasar, roi des Arabes représentent encore le vieil Empire Achéménide de l’époque plus ancienne de Cyrus, 6e siècle B.C. :

« …Les Mages ont suivi l’étoile… ils arrivent d’une terre lointaine, de la Perse leur patrie… voir le fils d’un roi qui va naître au pays de Judée et l’adorer.

—De qui tenez-vous ce que vous dites? demande  Hérode.

—”Nous en avons reçu de nos ancêtres le témoignage écrit qui a été gardé sous scellé”

—…Hérode dit : ”D’où tenez-vous ce témoignage connu de vous seuls ?”

—”…Une lettre écrite, transmise depuis Abraham, de génération en génération…notre peuple la reçut au temps de Cyrus, roi de Perse… la lettre parvint jusqu’à nous, et nous connûmes à l’avance le nouveau monarque, fils du roi d’Israël” ».

Livre arménien de l’Enfance

Ce ”témoignage écrit qui a été gardé sous scellé” semble une histoire bien naïve, et même du folklore, mais Origène*, 185-254, allait encore plus loin quand il dit « [Les Mages] possédaient chez eux le texte de tous ses oracles ». Dans la multitude de tablettes en écriture cunéiforme qui ont été sauvées les assyriologues ont déjà retrouvé l’épopée de Gilgamesh, l’histoire du Déluge, le retour de la Lune au périgée 4573 fois en 345 ans et les éphémérides pour l’an 7/6 B.C. et pourquoi n’y aurait-il pas eu les oracles mésopotamiens de Balaam dont il ne reste qu’un verset trituré pour les besoins de la cause, dans la bible.

L’idée d’une étoile qui annoncerait un roi des rois, un dieu des dieux, une ère nouvelle, était ancrée dans le milieu des astrologues chaldéens ; une idée qui remonte au berceau de civilisation, entre le Tigre et l’Euphrate, en Chaldée, à Ur patrie d’Abraham, à Uruk où fut créé la première Ecole d’astrologie.