La grande bibliothèque de Césarée la Maritime

 

 

La grande bibliothèque de Césarée la Maritime

 

 — Allons à Césarée, la grande ville portuaire construite par Hérode le Grand. Ce port qui rivalisa avec celui d’Alexandrie était un lieu de départ au long cours vers Rome mais aussi un lieu de passage vers les cités de Grèce et d’Anatolie. Césarée fut un pont entre les deux Eglises de Jérusalem et d’Antioche, saint Paul y séjourna.

« Pour Luc, l’auteur des Actes des apôtres, Césarée la romaine, est un lien avec la jeune Eglise de Rome mais c’est aussi la ville où la foi chrétienne, encore imprégnée de judaïsme, se communique à des non circoncis ».

Maurice Carrez*, 1988.

« La bibliothèque de Césarée recélait les écrits des premiers chrétiens et les œuvres des Pères de l’Eglise : Justin, Ignace d’Antioche, Origène, Eusèbe de Césarée, Pamphile, Porphyre, Grégoire de Naziance, Hilaire de Poitiers, Eusèbe de Verceil et saint Jérôme »

Irénée Fransen*, 1988.

« Saint Jérôme, [il maîtrisait parfaitement l’hébreu, l’araméen et le grec], assure qu’il a vu un exemplaire hébreu de saint Matthieu qui était gardé dans la bibliothèque de Césarée, à Bérée et ailleurs… » et « Saint Athanase dit que saint Jacques évêque de Jérusalem y a traduit en grec l’original de saint Matthieu ».

Augustin Calmet*, 1726.

— N’y a-t-il pas d’autres textes anciens qui parlent de l’étoile de Bethléem ?

— Si, on va commencer par le Livre de Jacques et la Lettre d’Ignace d’Antioche qui nous apportent une description plus précise du phénomène astronomique, car avec l’évangile de Matthieu on a été frustré.

 

L’astre de Bethléem dans le Livre de Jacques

Le Livre de Jacques, nous dit Origène, a pour but « de sauvegarder la dignité et la virginité perpétuelle de Marie ». Le texte remonte à la fin du 2e siècle B.C., on l’appelle souvent évangile apocryphe parfois protévangile mais ce n’est pas un évangile puisqu’il n’évoque à aucun moment la prédication de Jésus. L’auteur, Jacques, se présente comme frère du Seigneur et fils de Joseph témoin des faits qu’il rapporte. L’action qui se déroule entre 30 B.C. et 2 B.C.  se situe à Jérusalem et nous présente l’Enfance de Marie, puis la présence de Joseph, alors veuf et âgé, dans le champ clos du temple. Le texte grec a été constitué par Tishendorf*, 1876, à partir de 17 manuscrits, certains des 4e et 5e siècles, la plupart échelonnés entre les 9e et 14e siècles, sa traduction française par Emile Amann* date de 1910. Le Livre de Jacques nous apprend les noms de Joachim et Anne, les parents de Marie.

Le narrateur se présente comme un témoin de la Nativité : sur la route de Jérusalem à Bethléem Marie est alors montée sur l’ânesse, Joseph et ses fils à ses côtés, l’un d’eux, Jacques (l’auteur du texte), tient par la bride l’animal. Il précise l’endroit de la Nativité :

« au début du troisième mille »,

dans la campagne et à proximité d’une grotte. Cette précision topographique a permis à Simon Mimouni*, 2003, de rappeler:

« qu’en ce lieu, très exactement à mi-chemin, a été construite, au 5e siècle, une église, dite du Kathisma, dans laquelle on a vénéré la Théotokos, la Mère de Dieu selon le concile d’Ephèse de 431 ».

Simon Mimouni*

Dès le début du 2e siècle Justin, Origène et Eusèbe de Césarée rapportaient que

« l’on montrait alors l’endroit, dans la campagne, où la Vierge avait déposé l’Enfant, un fait bien connu dans le pays, même de ceux qui sont d’une autre religion ».

— Et, notre conjonction de planètes, le Livre de Jacques en parle-t-il ?

— Oui, justement. Les Mages arrivent en Judée dans un grand tumulte, l’entrevue avec Hérode et la consultation des scribes sont identiques mais la réponse des Mages à Hérode fournit une description astronomique qui ressemble à une conjonction de planètes.

Lisons ce verset avec grande attention car le mot astre, en grec, a deux formes différentes aster et astron ; on les retrouve dans cette phrase à 3 reprises, dans l’ordre aster, astron, aster. Surveille aussi les singuliers et les pluriels.

— J’y vais :

« Nous avons vu ”un astre” extrêmement grand, brillant ”entre ces astres-ci” et les éclipsant tous au point que ”les autres astres” ne paraissaient plus ».

Livre de Jacques

J’ai compris :

  • la 1ère fois, il y a un singulier, il s’agit de l’astre Jupiter, 10 fois plus brillant que les autres,
  • la 2e fois, un pluriel, il s’agit d’astres voisins, moins brillants. Je pourrais imaginer Jupiter à côté d’une étoile brillante située sur l’écliptique telle Régulus, Aldébaran, Antarès ou l’Epi de la Vierge, mais à côté d’un groupe d’étoiles brillantes sur l’écliptique c’est impossible car elles sont éparpillées et fixes, par contre les planètes errantes peuvent venir former un petit groupe autour de Jupiter et il suffit de deux planètes pour justifier l’emploi du pluriel,
  • la 3e fois, un pluriel, « au point que ”les autres astres” ne paraissaient plus » ; ici, cet ensemble d’astres ne peut être que des étoiles, « des étoiles faibles au point de disparaître ».

La constellation des Poissons correspond à cette description surtout par contraste avec sa voisine, la riche Orion, qui lui succède au méridien. Les étoiles du signe des Poissons sont tellement faibles qu’avec mes copains amateurs j’ai du attendre les nuits sans Lune pour identifier les deux Poissons et leurs deux cordes qui se rejoignent au nœud.

— Effectivement, comme tu as pu le contrôler avec stellarium, la constellation des Poissons est constituée d’étoiles pâlottes. Elle est vaste et s’étend sur 37° de l’écliptique. Eratosthène de Cyrène*, 3e siècle B.C., y dénombrait 39 étoiles, 12 pour le Poisson-nord, 15 pour le Poisson-sud, 3 sur la corde que tire le Poisson-nord, 6 sur la corde que tire le Poisson-sud, et 3 sur le nœud qui relie les deux cordes, dont a Pisces qu’Eratosthène nommait le ”Nœud céleste” car elle était alors très proche du point d’équinoxe, (le point g), situé à la croisée de l’équateur et de l’écliptique.

Les étoiles de la constellation des Poissons sont vraiment très faibles : la plus brillante, α Pisces, est de 4e magnitude seulement, beaucoup d’entre-elles sont de 5e et 6e magnitude, une dizaine sont plus faibles que la 6e grandeur ce qui prouve que ces sites désertiques était excellents pour les observations astronomiques ou qu’Eratosthène avait bonne vue.

— Je peux vérifier tout cela avec stellarium.

 

aster et astron pour l’astronome Achilles et pour le poète Aratos

— Du calme, prenons le temps d’examiner avec soin la différence cruciale entre les deux variantes aster et astron. Le ”Chantraine”, dictionnaire étymologique de la langue grecque, nous apprend que astron est l’ancienne forme, plus générale, utilisée par Homère. On utilise astron pour parler des astres de manière indéfinie ceux dont le lever indique les saisons, ceux qui annoncent les vents, les pluies ou l’arrivée des oiseaux, les astres qui guident les marins. La forme astron est la racine de noms : astronomie, astrologie, astrolabe… des adjectifs : astral, astronomique… que l’on retrouve dans les expressions : phénomène astral, phénomène astronomique ou astrologique. On peut ajouter que le mot astron avec ce sens de ”phénomène astral”, est utilisé dans l’oracle de Balaam et dans les Testaments des 12 Patriaches.

« Qu’est-ce vraiment ”aster” ? Qu’est-ce au contraire ”astron” ?»,

sous cet intitulé de la préface des Phénomènes astronomiques du poète Aratos, l’astronome grec Achilles, 3e siècle B.C. a montré la différence décisive entre les formes aster et astron.

L’helléniste Roberta Caldini-Montanari*, 1996, synthétise ainsi :

« la variante ”astron” a un caractère ”collectif” et désigne un corps constitué d’éléments, un sous-ensemble à l’intérieur d’un ensemble indifférencié, un groupe d’astres [étoiles ou planètes] ».

Roberta Caldini-Montanari*, 1996.

On peut affirmer aujourd’hui que, dans le Livre de Jacques et dans la Lettre d’Ignace d’Antioche, le nom astron possède ce caractère de ”collectif”.

Quant à l’usage d’aster et d’astron par les astronomes eux-mêmes, il nous est donné par Géminos de Rhodes, fl. 55 B.C. Dans les Phénomènes célestes, Géminos* utilise la forme aster 460 fois, pour désigner aussi bien des étoiles que des planètes, mais il n’utilise astron qu’en deux occasions pour les Pléiades et pour les Hyades, qui sont des ”amas” d’étoiles, des entités physiques et des groupes naturels d’étoiles ; rien à voir avec les constellations, zodion, qui sont des regroupements arbitraires et artificiels constitués par les astronomes pour se reconnaître plus aisément dans le ciel.

Cet éclairage astronomique sur astron autorise aujourd’hui Marie-Hélène Georgelin* à traduire ainsi le Livre de Jacques :

« Hérode interrogeait les mages avec insistance :

” Quel est donc ce signe que vous avez vu dans le ciel et qui allait vers le lieu où vient de naître le fameux Enfant Roi, celui qui est issu d’une filiation illustre ? ”.

Les mages lui dirent alors :

”Nous avons vu un astre d’une taille considérable, brillant telle une torche au milieu d’un ensemble de planètes proches et faisant pâlir jusqu’aux étoiles elles-mêmes, à tel point que l’on pouvait craindre qu’elles ne retrouvent plus leur éclat propre” ».

Protévangile de Jacques

De nombreuses variantes sont possibles, laissons les hellénistes en débattre : « faisant corps avec les astres alentours », « au milieu d’un ensemble d’astres bien connus de nous », « au milieu d’un ensemble d’astres proches de nous ».

La traduction « astres proches de nous » reflète la réalité il s’agit d’astres proches de nous en distance, des planètes, plus proches que les autres astres, les étoiles. Les astronomes chaldéens et grecs savaient depuis des siècles que les planètes sont plus proches de nous que les étoiles. Sur leur route, avant même d’arriver à Jérusalem, les Mages ont certainement expliqué ce regroupement de planètes aux témoins, curieux et badauds : Jupiter, la plus brillante, accompagnée de Saturne puis Mars, une explication qui s’est ensuite transmise sous diverses formes.

 

Le manuscrit Bodmer V du Livre de Jacques en Haute-Egypte, 

Y a-t-il d’autres textes ont-ils été oubliés ou négligés utilisés ?

— Oui, mais attends un peu, on n’a pas fini avec celui-là. Pour chaque texte on dispose de 5, 10, 20 parfois même 50 manuscrits qui ont été recopiés à divers époques, ils ne sont pas tous complets, certains sont légèrement différents, curieusement les derniers découverts peuvent être parmi les plus anciens. En 1953, alors qu’elle résidait au Caire, Odile Bongard* fut étonnée de découvrir des papyrus fort anciens dans la boutique d’un antiquaire. Ces papyrus, fort bien conservés, provenaient du désert de Haute-Egypte au climat sec, il s’agissait d’un manuscrit du Livre de Jacques qui fut ainsi sauvé et figure dans la collection du mécène Martin Bodmer sous le numéro ”Bodmer 5”. Il s’agirait de l’un des plus anciens manuscrits de ce pseudo-évangile, et daterait du 2e siècle pour certains, du 4e siècle pour d’autres. Malheureusement je n’ai pas eu accès au texte grec. Ce manuscrit récemment retrouvé du Livre de Jacques, parle tantôt ”d’un astre”, tantôt ”de plusieurs astres” ce qui sembla une incohérence supplémentaire dans ce livre si peu crédible. On comprend la rudesse des critiques. En fait cette incohérence n’est qu’apparente.

— Je vais lire ce passage du manuscrit ”Bodmer 5” :

« Cette nouvelle alarma Hérode qui dépêcha des serviteurs, les convoqua et ils le renseignèrent sur l’étoile. Et voici, ils virent ”des astres” à leurs levers et les astres les guidaient jusqu’à leur arrivée dans la grotte et l’étoile s’arrêta au dessus de la tête de l’enfant ».

Protévangile de Jacques, manuscrit Bodmer 5

—France Quéré*, 1983, a traduit aster par étoile mais cela n’a aucune incidence, seuls les singuliers et les pluriels sont importants car à la lecture on a successivement ”une étoile”, ”des astres”, ”les astres” et à nouveau ”l’étoile”. Une anarchie à faire hurler les commentateurs déjà mal disposés, une incohérence de plus, dirent-ils, dans une liste déjà longue d’invraisemblances.

Ce verset, au contraire, correspond parfaitement au regroupement des 3 planètes supérieures dominé par l’éclatante Jupiter. L’auteur rapporte deux aspects différents du même phénomène :

  • un groupe d’astres (des planètes, Saturne et Mars) quand ce sont les mages-astronomes qui parlent, ou quand on les fait parler,
  •  un astre unique (Jupiter), plus brillant que tous les autres, quand la parole est à Hérode ou aux témoins.

Les Mages répondent en pensant au groupe Jupiter, Saturne et Mars, les autres témoins posent des questions en voyant l’éclatant Jupiter.

 

 « Un astre brillait du soir au matin »…

ce qui exclut la planète Vénus

— De qui donc est cette phrase ?

— Elle est extraite d’un autre texte apocryphe, ”le pseudo-Matthieu”, attribué à quelqu’un de l’entourage de cet évangéliste. Ce texte ressemble au Livre de Jacques, il développe lui aussi les 2 récits de la Nativité, l’Etoile & les Mages et le recensement d’Auguste. Ce texte apporte des détails à la description de l’Etoile. Voici la traduction française de Ch. Michel*, 1924.

— Je lis le passage :

« Et une grande étoile brillait au dessus de la grotte depuis le soir jusqu’au matin, et jamais, depuis le commencement du monde, on n’en n’avait vu de si grande. Et les prophètes qui étaient à Jérusalem disaient que cette étoile indiquait la naissance du Christ, qui devait accomplir les promesses faites non seulement à Israël mais à toutes les nations ».

pseudo-Matthieu, évangile apocryphe

 — Une grande étoile qui brille du soir au matin cela ne peut pas être Sirius, la plus brillante des étoiles, dont la déclinaison est négative (-16° 40’). Cela exclut surtout la planète Vénus l’astre le plus brillant après le Soleil et la Lune dont la magnitude apparente reste comprise entre -4 et -5 la plupart du temps ; en effet Vénus ne peut être visible toute la nuit car cette planète ne s’écarte jamais à plus de 47° du Soleil.

Par contre cela correspond bien aux planètes supérieures dont l’éclatante Jupiter, alors à la déclinaison équatoriale, et en position ad-hoc sur son orbite, à l’opposé du Soleil (″lever acronuctal″) en date du 15 septembre 7 B.C. Jupiter était alors visible toute la nuit : déjà levé à la tombée de la nuit, pas encore couché à la fin de la nuit.

— Oui, un créneau de quelques jours compris entre son premier ”lever du soir” et son dernier ”coucher du matin” pour reprendre le langage de Géminos de Rhodes. Pendant ces quelques jours Jupiter brillait du soir au matin. Cette description correspond bien à la phase du 15 septembre 7 B.C., Jupiter est alors à l’opposé du Soleil, c’est un argument supplémentaire pour écarter la possibilité d’une comète ou d’une supernova. Mais, attention, ce témoignage sur la visibilité de l’astre ”du crépuscule à l’aube” ne décrit qu’une phase de ce long phénomène. Nous allons voir qu’Ignace d’Antioche, quant à lui, va nous décrire une autre phase qui se déroula 6 mois plus tard, en février et mars 6 B.C.

 

Ignace d’Antioche, Lettre aux Ephésiens

— Les lettres d’Ignace d’Antioche ont semblé suspectes aux experts qui, presque unanimes, les ont considéré comme des textes apocryphes du 2e siècle à l’exception de son Epître aux Romains écrite par Ignace lui-même lors de son exil vers Rome pour y subir le martyr en 105 environ. Comme l’a brillamment montré Ernest Renan, le paragraphe 19 de la Lettre aux Ephésiens relatif à l’Etoile est également authentique, d’Ignace lui-même, ce qui le situe au 1er siècle lors d’une 2e génération de témoins ayant gardé en mémoire la conjonction de planètes. Dans cette Lettre aux chrétiens d’Ephèse, ici traduite par Augustin Calmet*,  Ignace d’Antioche*, un grec d’origine syrienne, rappelle comment fut annoncé aux hommes le mystère de la Nativité.

— Je vais lire le passage de cette lettre, et à l’aide de stellarium je pourrai la commenter :

« Cet astre jetait un éclat qui surpassait celui de toutes les autres astres, et que le Soleil, la lune et les autres astres, lui servaient comme de compagnie, et formaient son cortège. Il dominait sur tout cela par son éclat, et tout le monde était dans l’admiration en considérant cette nouvelle lumière ».

Lettre d’Ignace d’Antioche aux Ephésiens

— Cet astre qui surpasse tous les autres étoiles du ciel :

…c’est  Jupiter,

les autres astres qui lui servent de compagnie et forment son cortège :

…c’est Mars et Saturne, le long de l’écliptique.

La configuration ultime avec le Soleil et la Lune à proximité (photo stellarium) correspond à une nuit proche de la Nouvelle Lune.

— Je vais chercher les dates des nouvelles Lunes sur stellarium. J’y suis, deux dates conviennent bien : le 22 février 6 B.C. (-5/2/22) et le 22 mars 6 B.C. (-5/3/22). Le Soleil vient de se coucher, il est suivi de Saturne et Mars ”tenant compagnie” au royal Jupiter, la Lune fermant le ”cortège”.

Mercure et Vénus étaient déjà couchées, bien avant le Soleil, mais, quelques heures plus tard, à l’aube, on les voit se lever dans d’excellentes conditions : Vénus d’abord, puis un temps plus tard, Mercure, à son élongation maximum, donc aisément visible. Mes copains astronomes amateurs n’ont pas encore tous rencontrés les bonnes conditions pour observer Mercure.

 

 Eusèbe de Césarée, un traité syriaque Sur l’Etoile

En 1866, William Wright* découvrit un manuscrit syriaque On the Star datant du début du 5e siècle. Ce traité Sur l’Etoile attribué à Eusèbe de Césarée, 265-34, contient une phrase riche de sens :

« Les Mages, également, étaient particulièrement intéressés de connaître quand l’astre se lèverait et deviendrait visible méditant ce qui, d’aventure, pourrait arriver à son lever ».

Sur l’Etoile, attribué à Eusèbe de Césarée

Les Mages parlent de l’Etoile au ”futur” comme d’un astre connu dont ils attendent le lever, et non d’un astre ”imprévisible” ce qui exclut supernova ou comète. Ils attendent le Temps où « l’astre ”se lèvera” et ”deviendra visible” », c’est un pléonasme dans le texte syriaque, une répétition qui nous apprend que cet astronome syriaque utilise simultanément les langages astronomiques grecs et chaldéens.

Les Mages étaient « particulièrement intéressés de connaître quand… », connaître le Temps, toujours la même question, celle déjà posée à Hérode. Connaître le Temps où Jupiter et Saturne se lèveraient et dérouleraient leur triple conjonction, « …méditant ce qui, d’aventure, pourrait arriver…», oui ce curieux ballet de planètes avait de quoi intriguer les astronomes chaldéens.

 

Un astre vraiment curieux ! Seuls les Mages l’ont vu.

L’étoile de Bethléem ne fut ni une supernova hyper brillante, ni une comète spectaculaire. Il n’y eut aucun astre nouveau, rien d’exceptionnel, rien qui puisse troubler ceux qui contemplent la voûte étoilée pour sa beauté et sa poésie. On assista pendant 10 mois à un ballet discret, presque imperceptible de Jupiter et de Saturne, mais un ballet très rare qui s’acheva quand la 3e planète supérieure, Mars, vint rejoindre Jupiter et Saturne dans une grande conjonction située au point d’équinoxe.

Voir deux planètes, Jupiter et Saturne, naviguer de conserve, se pourchasser et s’entrelacer au voisinage du point d’équinoxe, est fascinant pour un astronome…mais ce lent spectacle discret ne pouvait capter l’attention des bergers, d’Hérode ou des Grands Prêtres. Rien dans le ciel qui ne change brutalement d’une nuit à l’autre, rien de super éclatant, rien qui ne puisse retenir spontanément l’attention.

L’événement serait resté inaperçu sans l’arrivée des Mages. Pourtant ce ballet de planètes, cette pirouette synchronisée de Jupiter et de Saturne avait de quoi intriguer et même interpeller ; on aurait alors pu y voir un signe, un «clin d’œil» ou un message divin comme le suggère quelques textes.

Un berger observant le ciel pendant 300 nuits consécutives aurait pu remarquer cette course curieuse des planètes, mais seul un astronome pouvait avoir conscience de l’originalité et de la rareté de ce regroupement de planètes.

 

 « Cet astre semblait être intelligent et raisonnable »

« Cet astre semblait être intelligent et raisonnable »

Jean Chrysostome

selon le témoignage de Jean Chrysostome (349-407) et d’autres Pères de l’Eglise. Nul doute que cette description astronomique assez perspicace soit une information laissée par les Mages : c’est vrai, le ballet synchronisé de Jupiter et de Saturne semblait un mouvement réfléchi, intelligent”.

D’ordinaire, on observe chaque planète suivre sa course à travers les étoiles du zodiaque selon sa propre orbite, conformément aux lois de Képler , mais ici on oublie les faibles étoiles de cette constellation des Poissons qui jalonnent leur course : l’oeil est désormais attiré par le mouvement relatif de ces deux planètes éclatantes, Jupiter et Saturne, qui tantôt se rapprochent, tantôt s’écartent l’une de l’autre. Elles semblent se ”chercher” comme dans une course poursuite, un jeu du chat et de la souris, un ballet synchronisé. Les deux planètes semblent communiquer entre elles et vouloir nous laisser un message.

 

Les centons homériques sur la Nativité

« L’art du centon est un jeu littéraire qui consiste à composer un récit nouveau, sur des vers anciens en utilisant des formules païennes pour exprimer, sans blasphème, des vérités religieuses ».

Didier Pralon*

Didier Pralon, 2003, poursuit en nous livrant une bel exemple avec Les centons homériques sur la Nativité, attribués à l’Impératrice Eudocie-Athénaïs [ 400-460 ]. C’est une reconstitution du récit de la Nativité, inspirée de Luc et Matthieu, qui est écrite pour les premiers chrétiens de culture grecque avec des passages empruntés à Homère et à Euripide. Les premières générations de citoyens grecs qui se convertissent au christianisme y retrouvent leurs racines culturelles, leur mythologie, leurs légendes ancestrales et leurs récits épiques.

Une manière pour cette Impératrice de situer le christianisme dans la culture grecque où il s’est développé, à Antioche, et pour le positionner par rapport à une religion rivale : l’hellénisme, comme le souligne Ernest Renan* :

« L’hellénisme était beaucoup moins usé que les autres religions de l’Empire [qui entretenaient les superstitions et les mystères]. Plutarque, 46-129, vécut de l’hellénisme, tranquille et heureux, content comme un enfant avec la conscience religieuse la plus calme. Chez lui, pas une trace de crise, de déchirement, d’inquiétude, de révolution imminente. Mais il n’y avait que l’esprit grec qui fut capable d’une sérénité si enfantine. Toujours satisfaite d’elle-même, fière de son passé et de cette brillante mythologie dont elle possédait tous les lieux saints, la Grèce ne participait pas aux tourments intérieurs qui travaillaient le reste du monde ; seule elle n’appelait pas le christianisme ; seule, elle voulut s’en passer ; seule elle prétendit mieux faire. Du 1er au 4e siècle de notre ère, avec sa mythologie et ses légendes, sa philosophie et ses anciens sages, l’hellénisme sera la seule concurrence au christianisme ».

Ernest Renan, les Apôtres

— Mais alors ces vers anciens  ne nous apprennent rien de particulier sur l’Etoile de Bethléem ?

— Exact, mais ils apportent une vision de l’astronomie primitive de l’époque Homérique (pré-Thalès et pré-Pythagore) qui imprégnait les peuples et encore leur élite, philosophes et prophètes.

Ces centons homériques développent le thème de l’Incarnation et de la Nativité : un astre dans le ciel indique la naissance d’un nouveau dieu fait homme, né d’une Vierge ; des bergers sont les premiers témoins ébahis. Un thème présent dans d’autres civilisations. La merveille d’une naissance prodigieuse. Voici quelques extraits présentés par Didier Pralon* :

« Alors quand celui-là, l’Eileithuia des douleurs de l’enfantement,

L’amena à la lumière, quand il vit les rayons du Soleil,

Quand un éclat monta jusqu’au ciel et quand le sol sourit tout alentour,

Tous rassemblés, jeunes et vieux,

S’étonnèrent et leur âme à tous tomba à leur pieds,

Tandis que l’astre s’arrêtait là-haut, très brillant, lui qui, plus que tout,

Brille splendide, ” lavé dans l’Océan ,

Montrant un signe aux mortels […]

A le voir un berger qui garde ses brebis laineuses au champ

S’étonna dans son âme ; car il pensait que c’était Dieu ».

Un autre centon développe le mystère et la merveille de l’Incarnation :

Celui qui règne sur tous, mortels et immortels […]

Alors, il vint, et comme un enfant plongea sous sa mère ;

Il se donnait l’apparence d‘un autre, un mortel, en se dissimulant,

Il se fixa sur dans le bas-ventre près d’Eileithuia

Il délia la ceinture virginale et fit couler le sommeil.

Elle gravide, engendra un enfant aux pensées puissantes,

Et la Vierge respectable le fit sortir à la lumière.

Et il vit les rayons du soleil.

Il avait pris l’apparence d’un homme ».

Centon homérique attribué à Eudocie-Athénaïs

 

Astronomie grecque… et biblique

Avec ces centons, on plonge dans la culture astronomique grecque du temps du poète Homère 9e siècle B.C., mais aussi du temps de Thalès, 6e siècle B.C., où la Terre, plate, flotte sur l’Océan. Chaque nuit le Soleil plonge dans l’Océan et chaque matin un nouveau Soleil, ”lavé dans l’Océan” (Homère, Odyssée XIII, 93), émerge à l’aube, sur une orbite légèrement décalée. Le philosophe Héraclite d’Ephèse (576-480 B.C.) imaginait encore :

« un Soleil qui descend dans les régions souterraines, alourdi par l’eau de la mer qu’il a traversée, il a perdu la  mémoire, se régénère dans le feu qui subsiste dans le séjour d’Hadès et ce nouveau soleil reparaît à l’horizon du levant ».

Héraclite d’Ephèse

Les philosophes grecs se demandaient :

Que devient le Soleil pendant la nuit ?

et, poursuivaient-ils, …fort intrigués!

Que deviennent les étoiles pendant le jour ?

Il fut vraiment difficile pour les hommes d’admettre que, la nuit, le Soleil passe sous nos pieds. Pour Anaximandre, élève de Thalès, la Terre est un cylindre qui flotte sur l’air et le feu. Surprise, c’est dans le Livre de Job, l’un des plus anciens de la bible, qu’Ernest Renan a repéré un passage astronomique fort pertinent, la Terre flottant dans l’Espace, sur le vide et le néant :

Devant LUI l’abîme est sans voile,

Il étend le septentrion sur le vide,

Il suspend la Terre sur le néant.

Livre de Job

 

 Abbaye de Worcester, 1285 : Annales monastiques

En 1977, trois astrophysiciens de la Royal Astronomical Society de Londres ont retrouvé dans les Annales de l’abbaye de Worcester, éditées par Luard* en 1869, la trace d’une conjonction de Jupiter et de Saturne associée à la Nativité. Ce registre signalait

« qu’en cette année 1285, une conjonction de Saturne et de Jupiter s’était produite dans la constellation du Verseau et qu’une telle conjonction de Saturne et de Jupiter ne s’était produit ”depuis l’Incarnation”, et n’arriverait de nouveau avant longtemps comme il est estimé par les astronomes ».

Annales de l’abbaye de Worcester

C’est exact, en 1285, une conjonction simple de Jupiter et de Saturne, eut lieu dans la constellation du Verseau, elle était même extrêmement  resserrée, 0°17, selon les calculs de Clarke, Parkinson and Stephenson*.

Les Annales de Worcester ne précisent dans quel signe du zodiaque s’était produite la conjonction de l’ ”Incarnation, ni si elle était simple ou triple, mais l’essentiel est sauvé puisque les annales chrétiennes ont conservé durant plus d’un millénaire le souvenir d’une conjonction de Jupiter et de Saturne qui eut lieu l’année de la Nativité.