Les Hauts Faits du divin Auguste : du temple d’Ancyre à Antioche de Pisidie

 

 

Les Hauts Faits du divin Auguste :

du temple d’Ancyre à Antioche de Pisidie

 

Il serait dommage de disséquer les versets 2.1 et 2.2 de Luc sur le recensement du monde habité décrété par l’empereur Auguste sous l’autorité de Quirinius, sans rappeler le contexte de l’Evangile de Luc, le seul  évangéliste qui nous ait rapporté les magnifiques scènes de la Nativité. Les deux récits L’Annonciation de l’ange à Marie, et la Visitation de Marie à sa cousine Elizabeth ont inspiré les plus grands artistes d’Orient et d’Occident au Moyen Age, à la Renaissance et aux temps classiques. Deux scènes qui ont soutenu l’émotion, l’émerveillement et la piété de nos ancêtres dans leurs peines et leur détresse.

 

L’Annonciation de l’ange à Marie

« Le sixième mois, l’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, du nom de Nazareth, à une vierge fiancée à un homme du nom de Joseph, de la maison de David ; et le nom de la vierge était Marie. Il entra et lui dit : ”Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi”. A cette parole elle fut troublée l’ange lui dit : ”Sois sans crainte, Marie ; car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu concevras dans ton sein et enfanteras un fils et tu l’appelleras du nom de Jésus. Il sera grand, et sera appelé Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; il règnera sur la maison de Jacob pour les siècles et son règne n’aura pas de fin”. Mais Marie dit à l’ange : ”Comment cela sera-t-il puisque je ne connais pas d’homme ? L’ange lui répondit : ”L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi l’être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu”. L’ange, avant de la quitter, annonce à Marie qu’Elizabeth, sa parente, qu’on appelait ”la stérile”, vient de concevoir un fils dans sa vieillesse ”car il n’est rien d’impossible à Dieu”. Marie dit alors : ”Le suis la servante du Seigneur : qu’il m’advienne selon ta parole !” . Et l’ange la quitta ».

Luc, traduction Bible de Jérusalem

 

La Visitation de Marie à sa cousine Elizabeth

« En ces jours-là, Marie partit et se rendit en hâte vers la région montagneuse, dans une ville de Juda ».

Cette région est aujourd’hui souvent identifiée avec Aïn Karim à 6 km à l’Ouest de Jérusalem. Marie partit en hâte, seule semble-t-il, du moins sans Joseph.

« Marie entra chez Zacharie et salua Elizabeth. Et il advint, dès qu’Elizabeth eut entendu la salutation de Marie, que l’enfant tressaillit d’allégresse dans son sein et Elizabeth fut remplie d’Esprit saint. Alors elle poussa un grand cri et dit : Bénie es-tu entre toutes les femmes, et béni le fruit de ton sein ! Et comment m’est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ? Car, vois-tu, dès l’instant où ta salutation a frappé mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en mon sein. Oui, bienheureuse celle qui a cru en l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur ! ».

Luc 1, 39-45

 

Cantique de Marie.

Marie dit alors :

« Mon âme exalte le Seigneur, et mon esprit tressaille de joie en Dieu mon Sauveur parce qu’il a jeté les yeux sur son humble servante.

Oui, désormais toutes les générations me diront bienheureuse,

car le Tout-Puissant a fait pour moi des merveilles.

Saint est son nom, et sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent.

Il a renversé les puissants de leurs trônes et élevé les humbles.

Il a comblé de biens les affamés et renvoyé les riches les mains vides ».

Luc, le Cantique de Marie

Luc précise que Marie demeura avec Elizabeth environ trois mois, et s’en retourna chez elle, à Nazareth. La distance est d’environ 120 km, les reliefs descendent au niveau de la mer puis remontent à 500 m et parfois 700 mètres d’altitude. Le père Lagrange*, 1925, rapporte que « le voyage de Nazareth à Bethléem pouvait se faire commodément en quatre jours, les étapes naturelles étant vraisemblablement les mêmes qu’aujourd’hui : Djenin, Naplouse, el-Bireh ». Joseph et Marie l’emprunteront chaque année vers Jérusalem pour la fête de Pâques.

Les artistes qui ont peint cette scène de la Visitation de Marie à Elizabeth ont situé la scène sur une montagne escarpée conformément au texte de cet évangéliste. La Visitation peinte par Fra Angelico sur la prédelle du rétable de l’église San Domenico à Cortone situe la rencontre dans une demeure bâtie sur une montagne escarpée dominant la plaine, une ville apparait dans le lointain.

 

Une naissance idyllique avec des bergers et des anges…

« […] Joseph qui était de la lignée et de la maison de David monta en la ville de Bethléem afin de se faire recenser avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte. Or, pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter s’accomplit, et elle mit au monde son fils premier-né, l’enveloppa de langes et le coucha dans une crèche parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie.

Il y avait dans la même région des bergers qui vivaient aux champs et gardaient leurs troupeaux durant les veilles de la nuit. L’ange du Seigneur se tint près d’eux et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa clarté et ils furent saisis d’une grande crainte.

Mais l’ange leur dit : ”Soyez sans crainte, car voici que je vous annonce une grande joie qui sera celle de tout le peuple ; aujourd’hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David. Vous trouverez un nouveau-né enveloppé de langes et couché dans une crèche”.

Et soudain se joignit à l‘ange une troupe nombreuse de l’armée céleste, qui louait Dieu, en disant : ”Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre  aux hommes de bonne volonté” ».

Luc 2, 1-14

 

La Nativité selon Luc, éloge littéraire par Ernest Renan

—  Avec ce récit de Luc on n’est plus du tout dans le rationnel.

— Tu as raison. Il ne reste rien de rationnel sinon, à l’occasion d’une grossesse, une visite de Marie à sa cousine Elizabeth dont on ne voit pas pourquoi elle aurait été inventée. Ernest Renan dit simplement que « cet Evangile de Luc révèle un esprit large et doux, sage, sobre et raisonnable dans l’irrationnel». Ernest Renan, bête noire du parti catholique, ose même prononcer le mot de légende :

« C’est un beau récit joignant l’émotion du drame [récit de la Passion] à la sérénité de l’idylle [récit de la Nativité]. Tout y rit, tout y pleure, tout y chante ; partout des larmes et des cantiques ; c’est l’hymne du peuple nouveau, l’hosanna des petits et des humbles introduits dans le royaume de Dieu. Un esprit de sainte enfance, de joie, de ferveur, le sentiment évangélique dans son originalité première répandent sur toute la légende une teinte d’une incomparable douceur. C’est le plus beau livre qu’il y ait ».

Ernest Renan*

Dans Les Evangiles, 1877, Ernest Renan, professeur au Collège de France, montre les qualités littéraires remarquables de l’évangile de Luc, en particulier dans ce récit de l’enfance, recueilli dans la tradition orale collective et dans les logia primitifs. Ces logia, ou archives, rassemblaient des sentences évangéliques en un Evangile hébreu, dit des douze, aujourd’hui disparu, qui est à l’origine de l’évangile grec dit « de Matthieu« . Ces logia ont précédé les 4 évangiles et même l’épître de Paul aux Corinthiens, en l’an 57, qui est le texte évangélique le plus anciennement connu.

« La mémoire d’un homme était alors comme un livre ; elle savait même rendre des conversations auxquelles on n’avait point assisté. Une foule de personnes qui n’avaient point vu Jésus le connaissaient ainsi, presque aussi bien que ses disciples immédiats. Les maximes de Jésus et les petits récits de sa vie étaient sans cesse répétés et sus par cœur. Les sentences morales, qui formaient la partie la plus solide de son enseignement étaient encore plus facile à garder ».

Ernest Renan*

« Ces épisodes délicieux de la crèche, des bergers, de l’ange qui annonce aux humbles la grande joie, du ciel descendant sur terre auprès de ces pauvres gens pour chanter le cantique de la paix aux hommes de bonne volonté ; puis ce vieillard Syméon, respectable personnification du vieil Israël, dont le rôle est fini, mais qui s’estime heureux d’avoir fait son temps, puisque ses yeux ont vu la gloire de son peuple et la lumière révélée aux nations ; et cette veuve de quatre vingts ans qui meurt consolée ; et ces cantiques si purs, si doux, Magnificat…, Gloria in excelsis…, Nunc dimittis…, Benedictus Dominus Deus Israël …, qui vont servir de bases à une liturgie nouvelle ; toute cette exquise pastorale, tracée d’un contour léger au fronton du christianisme, tout cela est bien l’œuvre de Luc [… ] Elizabeth et Zacharie longtemps stériles, la vision du prêtre à l’heure de l’encens, la visite de Marie à Elizabeth la cantique du père de Jean-Baptiste, on ne rapporta jamais plus douce cantilène pour endormir les douleurs de la pauvre humanité ».

Et Renan ajoute qu’il n’entend pas nier que Luc n’ait trouvé dans les documents dont il se servait le germe de ces jolis récits, qui ont été l’une des sources de l’art chrétien.

« Chez Luc se trouvent ces miséricordieuses paraboles du bon Samaritain, de l’enfant prodigue, de la brebis égarée, de la drachme perdue, où la position du pécheur repentant est presque mise au-dessus de celle du Juste qui n’a point failli.  [… ] L’épisode des disciples d’Emmaüs est un des récits les plus fins, les plus nuancés qu’il y ait dans aucune langue ».

Ernest Renan*

 

Comment Luc s’est-il informé ?

Dans le préambule, Luc explique nettement son intention et sa situation d’auteur :

« Plusieurs ayant déjà essayé de rédiger le récit des choses accomplies parmi nous, comme nous l’ont transmis ceux qui, dès le commencement, en ont été les témoins et les acteurs, j’ai cru bon, moi aussi, après avoir tout examiné avec soin depuis l’origine, de t’en écrire une narration suivie, cher Théophile, pour que tu reconnaisses la solidité des enseignements que t’ont donnés ceux qui t’ont catéchisé ».

Luc

Ernest Renan souligne que:

« le style tout hellénique de ce préambule s’apparente au prologue du traité de la matière médicale de Dioscoride, [Luc est en effet un médecin grec ] ; dans le reste de l’ouvrage ce sont les documents utilisés par l’auteur qui font la couleur hébraïque. Or, que l’on rapproche les discours de Jésus dans l’Evangile et les discours des apôtres dans les Actes la différence est complète. Ici dans l’Evangile, le charme du plus naïf abandon ; là, dans les Actes, une certaine rhétorique, par moments assez froide. D’où peut venir cette différence ? Dans le premier cas Luc a recueilli une tradition, les paroles de Jésus étaient déjà écrites, les phrases construites, dans le second cas Luc rapporte les paroles des apôtres, tirant les discours de lui-même ».

Ernest Renan*, les Evangiles

 

 Was Christ born at Bethlehem ? par Sir William  Ramsay

Dans Was Christ born at Bethlehem ?,1898, Sir Willliam Ramsay*, archéologue de la British academy insiste sur ses qualités d’historiens de Luc qu’il confirmera lui-même lors des fouilles archéologiques qu’il mènera avec succès en Anatolie. Luc est précis qu’il s’agisse des rites religieux Juifs, de la richesse de la langue grecque, de l’organisation romaine, que de la médecine, de la description des cités et des monuments et même les voyages maritimes et le naufrage de saint Paul à Malte où Luc décrit la manoeuvre d’échouage qui reste un modèle pour les experts de la navigation dans l’Antiquité. Alors que les marins mettaient la chaloupe à la mer pour aller affourcher les 4 ancres de l’avant, Saint Paul, s’imaginant qu’ils cherchaient à s’enfuir coupa l’amarre, mettant un terme à l’ultime tentative d’un accostage en douceur, par l’arrière, avec les filins à la demande.

William Ramsay* était persuadé que Luc devait tenir les récits de  l’Enfance de Jésus d’une femme très proche de Marie, et de Marie elle-même pour l’Annonciation de cette naissance miraculeuse et pour la grossesse inattendue d’Elizabeth dont Marie fut « témoin de première main ». A deux reprises Luc reprend cette phrase :

« Quant à Marie, elle conservait avec soin toutes ces choses, les méditant dans son cœur ».

Ramsay souligne « la naissance discrète » de Jésus qui intervient quelques mois après la « naissance médiatisée » de Jean-Baptiste : « …son père Zacharie retrouve alors la parole… et la crainte s’empara de tous leurs voisins et dans la montagne de Judée toute entière on racontait toutes ces choses ». Luc a recueilli des informations publiques et neutres concernant la naissance de Jean Baptiste, « l’enfant grandissait et son esprit se fortifiait » mais en ce qui concerne Jésus l’information était restée dans le cercle familial :

« l’enfant grandissait, se fortifiait et se remplissait de sagesse»

et Luc ajoute

« …Et la grâce de Dieu était sur lui »

« a touch of warmth »  pour Ramsay*

Marie beaucoup plus jeune qu’Elizabeth n’avait guère plus 16 ans à la Nativité ; Luc l’aurait rencontré en Palestine entre les années 58 et 60 selon Ramsay, Marie aurait alors eu 81 ans. On sait que l’apôtre Paul partit affronter l’Eglise de Jérusalem en Juillet 58, le conflit s’envenima vite et Paul fut emprisonné par les Romains à Césarée ; pendant plus de 2 ans il y resta en résidence surveillée tandis que ses disciples, Luc, Timothée et les autres, sillonnaient la Palestine, la Syrie et même l’Anatolie jusqu’à Ephèse. Ainsi Luc recueillait-il toutes ses informations avant d’accompagner Paul jusqu’à Rome (même naufrage) et il resta à ses côtés quand Paul y fut prisonnier sous Néron.

Ramsay souligne que le sentiment sympathique de Luc pour les femmes provient de ses origines grecques (né à Philippes ou à son port de Néapolis) et des douces traditions macédoniennes. Renan également prête à Luc « un esprit doux, conciliant, une âme tendre, sympathique, un caractère modeste propre à s’effacer ». C’est grâce à Luc que l’on connaît la part de Marie et des femmes dans le developpement du christianisme ; Marie toujours discrète mais présente aux moments clés ; Marthe qui s’active tandis que sa soeur Marie de Béthanie écoute Jésus ; la femme anonyme qui élève la voix dans la foule : « heureuses les entrailles qui t’ont porté et les seins que tu as sucés » ; « la pécheresse pardonnée qui arrose de ses larmes les pieds de Jésus, les essuie de ses cheveux et les couvre de baisers » ; l’entourage féminin Marie Madeleine, Jeanne, Suzanne et les autres qui accompagnent Jésus dans ses prédications ; les Filles de Jérusalem qui se frappent la poitrine et se lamentent sur le chemin du calvaire ; les femmes qui accompagnaient Jésus depuis la Galilée présentes au pied de la croix ; celles qui préparent aromates et parfums au tombeau ; Marie la magdaléenne, Jeanne et Marie mère de Jacques qui annoncent la résurrection aux apôtres incrédules ; Marie, mère de Jésus, présente avec les apôtres lors de l’Ascension.

 

Le recensement du monde habité par l’empereur Auguste

Et si on revenait à notre sujet, la date du recensement d’Auguste en Judée, et donc la date de la Nativité. Coincide-t-elle avec la  conjonction de planètes ? Joseph et Marie étaient-ils à Bethléem lors du bref passage des Mages ?

— La lecture de ces quelques versets est rapide, mais ce fut une sacré affaire car la trace du grand recensement d’Auguste de 8 B.C. fut perdue pendant 15 siècles, redécouverte par les travaux de Képler de Suslyga et à nouveau oubliée des historiens. Luc, le seul historien à en avoir parlé directement (Flavius Josèphe indirectement) fut accusé d’avoir ”tout inventé” pour faire venir Joseph et Marie à Bethléem.

 Je vais lire :

« Or, il advint, en ces jours-là, que parut un édit de César Auguste ordonnant le recensement de tout le monde habité”. Ce recensement, le premier”, eut lieu pendant que Quirinius commandait en Syrie. Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville. Joseph aussi monta de Galilée en Judée, savoir, de la ville de Nazareth à la ville de David, nommée Bethléem, parce qu’il était de la maison et de la famille de David ; afin de se faire recenser avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte. Or pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter arriva, et elle enfanta son fils premier-né, et elle l’enveloppa de langes et le coucha dans une crêche, parce qu’il n’y avait point le place pour eux dans l’hôtellerie ».

Luc

Je vois qu’il parle d’un premier recensement, et ça à l’air d’être important puisque c’est l’empereur lui-même qui décide et il concerne le monde habité c’est-à-dire tout son empire. Les historiens romains ont certainement décrit cette vaste opération ?

 Mieux, Auguste lui-même avait écrit de sa main un livre documenté et chiffré le Breviarium Imperii, le Sommaire de l’Empire où il rapportait l’état de l’Empire et les actions qu’il avait accompli durant son règne.

Hélas ce livre a disparu. Tacite rapporte que dans ce livre :

« étaient consignées toutes les ressources de l’Etat : combien il y avait de citoyens et d’alliés sous les armes ; combien de flottes, de royaumes, de provinces ; les tributs et les redevances, les dépenses à faire, les gratifications, le tout écrit de la main du Prince ».

Tacite

Suétone dans sa Vie d’Auguste est plus précis :

« Ce prince, Auguste, en vertu du droit que lui conférait sa charge avait procédé 3 fois au recensement du peuple, la 1ère et la 3ème fois avec un collègue, et la 2ème fois seul »

Suétone

hélas il ne donne aucune date.

On savait aussi que des extraits de ce volumineux document sur l’Etat de l’Empire, les Res Gestae divi Augusti, les Hauts Faits du divin Auguste, avaient été gravés sur deux tables de bronze à l’entrée de son mausolée à Rome, en l’an 14 de notre ère. Ces tables en bronze disparurent à la fin de l’Empire Romain mais heureusement il en restait des copies dans les provinces romaines notamment à Ancyre.

 Allons-y, c’est la ville d’Ankara, je crois.

 

« La reine des inscriptions » sur le temple d’Ancyre

C’est en 1555, qu’Ogier Ghislain de Busbecq, un diplomate français auprès de Soliman le Magnifique, découvrit à Ancyre, sur le temple d’Auguste reconverti en mosquée, une double inscription gravée en latin et en grec. « La reine des inscriptions » dira Theodor Mommsen, spécialiste de l’Histoire romaine et prix Nobel en 1902. Cette longue inscription située dans le pronaos du temple, copie des Hauts Faits du divin Auguste, indique que l’empereur Auguste procéda à trois recensements du monde habité en 28 B.C., en 8 B.C. et en 14 A.D. :

« …un deuxième cens a été clos ”par moi seul” avec pouvoir consulaire en l’an 746 de Rome [8 B.C.] et dans ce cens quatre millions deux cent trente trois mille citoyens romains ont été inscrits… »

Res gestae

Oui, ”par moi seul”, cette modalité propre au recensement de 8 B.C. est également signalée dans l’évangile de Luc ; c’est un cas unique dans l’histoire romaine alors à la charnière entre la République et l’Empire, car, selon l’usage, les recensements étaient menés par deux consuls. On voit que Luc l’évangéliste, sur ce point, était mieux renseigné que l’historien Flavius Josèphe* qui écrivait à la même époque. Luc aurait-il vu l’inscription d’Ancyre ? c’est probable pour l’archéologue Sir William Ramsay* qui travailla sur les traces les voyages de saint Paul et de saint Luc en Anatolie.

Dès 1606, quelques années à peine après la découverte de cette inscription, Suslyga et Képler utilisaient cette date butoir «…quod Augustus ipse prodidit in lapide Ancyrano » pour fixer en 7 ou 6 B.C., la date du recensement en Syrie dont dépendait le royaume d’Hérode.

 

La date de la mort d’Hérode

Les premiers chrétiens ne s’intéressaient pas spontanément à la date de la Nativité de Jésus, seulement à celle de sa Résurrection à Pâques, la grande fête des chrétiens. Cette date était alors calculée à partir de la première prédication de Jésus, alors qu’il avait ”environ 30 ans”, elle-même rapportée à son baptême par Jean-Baptiste, et que Luc situe « durant la quinzième année du règne de Tibère ». Suslyga* et Képler* mirent tout à plat et retinrent que la Nativité eut lieu du temps d’Hérode le Grand, comme l’affirment Matthieu et Luc.

L’historien Flavius Josèphe rapporte qu’Hérode le Grand fut proclamé roi sous le consulat d’Agrippa, en l’an 717 depuis la fondation de Rome, et qu’il régna 37 ans. Hérode serait mort en 4 B.C. au mois de Nisan, au début de l’année juive à la date de la Pâque juive fixée à la Pleine Lune qui suit l’équinoxe de printemps, et quand le Soleil est dans le signe du Bélier précise Théophile Mémain*. Cette date de 4 B.C. pour la mort d’Hérode est confirmée par les dates de décès ou de destitution de ses trois fils héritiers, Archélaos, Philippe et Antipas, qui se partagèrent son royaume et dont on connaît la durée de règne. Flavius Josèphe écarte les doutes inévitables sur ces divers calendriers : Fondation de Rome, bataille d’Actium ou calendrier Juif qui ne débutent pas au même mois de l’année. Par chance l’historien nous indique que la mort d’Hérode survint cinq jours après une éclipse de Lune ; ainsi, à l’aide des tables pruténiques, Képler calcula que l’éclipse eut lieu le 13 mars de l’an 4 B.C., à 3h 31m, un calcul qui est aujourd’hui confirmé.

 

Flavius Josèphe parle-t-il du recensement de 8 B.C. ?

Dans les Antiquités judaïques, livre 17, Flavius Josèphe* montre qu’Auguste est aux commandes de ce grand recensement du monde Romain : la Gaule et la Germanie ont été intégrées à l’empire Romain, c’est au tour de la province Impériale de Syrie dont dépend le royaume juif d’Hérode. Au moment où Auguste, en l’été de 8 B.C., venait de fermer solennellement les portes du temple de Janus pour marquer une nouvelle période de la Pax Romana, Hérode, à contretemps, lance une opération punitive et de pillage en Arabie.

Dès lors,

« Hérode perd désormais le crédit dont il jouissait auprès de l’empereur ».

Flavius Josèphe

Auguste lui écrit vertement :

« qu’il l’avait traité jadis en ami, et que désormais il le traiterait en sujet »,

Flavius Josèphe

puis il refuse de recevoir :

« les trois ambassades de conciliation que lui envoie alors Hérode ».

En 8 ou 7 B.C. Auguste apprend par Saturninus gouverneur de Syrie

« les terrifiantes querelles de ce vieillard avec ses fils »,

Alexandre et d’Aristobule, fils de Mariamne de la dynastie des Hasmonéens, étranglés sur ordre de leur père Hérode au port de Sébaste, Césarée la Maritime.

Flavius Josèphe nous informe surtout qu’au cours de l’an 7 B.C., alors que Saturninus était gouverneur de Syrie :

« tout le peuple Juif avait confirmé par des serments son dévouement à l’empereur Auguste et au gouvernement royal d’Hérode, des pharisiens au nombre de plus de six mille refusèrent de jurer ».

Flavius Josèphe ne prononce pas le mot de ”recensement” mais le peuple devait :

« prêter serment d’allégeance et de fidélité à l’empereur Auguste et au roi Hérode ».

Ce recensement du monde habité, c’est-à-dire du monde romain, était effectué conjointement avec Hérode, selon les traditions ancestrales juives. Il provoqua des turbulences :

« Il y avait une secte de Juifs qui se vantait d’observer très strictement la loi de leurs pères et affectait un grand zèle pour la divinité, secte à laquelle était soumis l’entourage d’Hérode. On les appelle des Pharisiens, gens capables de tenir tête aux rois, et s’enhardissant ouvertement à les combattre et à leur nuire. Ces hommes n’avaient pas juré, au nombre de plus de 6 000 : et comme le roi leur avait infligé une amende, la femme de Phéroras la paya à leur place. En retour de cette marque d’amitié, les Pharisiens, qui tenaient de Dieu leur don de prophétie, prédirent à cette femme que le trône échapperait à Hérode et à sa race et reviendrait à sa descendance… ».

Flavius Josèphe*

Hérode, qui était juif, croyait aussi aux prophéties et craignait que sa couronne échappe à ”sa dynastie”.

 

Modalités des grands recensements romains

Selon Denys d’Halicarnasse (IV, 5 et 15), Ier siècle, les hommes libres devaient ”prêter serment”, donner leur nom et leur domicile, le nom de leur père et mère, de leur femme et enfants. Orose, un historien chrétien du 4e siècle qui vivait à Hippone, confirme qu’un ”serment de fidélité” et cette soumission à Rome accompagnait ces premiers recensements dans les provinces de l’Empire.  Lors de ces recensements on se faisait inscrire dans le lieu de sa naissance « chacun dans sa ville » précise Luc, à Bethléem donc, parce que Joseph était de la ”maison” et la ”famille” de David, deux mots qui ont chacun leur force (Luc ne fait pas de pléonasme) et indiquent l’origine familiale de Joseph. Les femmes également devaient participer à ces grands recensements romains, ainsi Marie, née à Nazareth suivant la tradition, devait venir pour se faire inscrire à Bethléem, ville de Joseph son époux.

 

Un 2e recensement, local, en vue de l’impôt, sème la révolte

En l’an 6 de notre ère la tutelle romaine s’alourdit sur la Judée. Un recensement des fortunes destiné à l’impôt provoqua de violentes révoltes contre l’autorité romaine, elles nous sont rapportées par l’historien Flavius Josèphe. Ce 2e recensement local en Judée fut longtemps le seul connu des historiens, tandis que le grand recensement d’Auguste du monde habité, qui avait eu lieu 12 ans plus tôt, fut oublié jusqu’au 16e siècle. Le nom de Quirinius qui est associé aux deux recensements ajouta à la confusion : lors du grand recensement de l’empire romain, décrété en 8 B.C., Quirinius intervint à titre de légat d’Auguste commandant les légions en Syrie, tandis que lors du recensement local en Judée, en 6 de notre ère, Quirinius intervint comme Gouverneur des provinces de Syrie et de Phénicie, légat pro-préteur d’Auguste.

Luc, contemporain de Flavius Josèphe et comme lui fidèle à Rome, connaissait aussi l’existence de ce 2e recensement puisqu’il en parle dans les Actes des apôtres dont il est aussi l’auteur, ce que beaucoup d’historiens des 19e et 20e ignoraient encore. Luc, dans les Actes des apôtres 5-37, rapporte que les premiers chrétiens, par leur zèle excessif, avaient alors troublé l’ordre public. A cette occasion, le sage Gamaliel, qui présidait le Sanhédrin de Jérusalem intervient pour rappeler tous les échecs des révoltes juives contre l’autorité romaine…celle de Theudas…

« et après lui, s’est levé Judas le Galiléen, ”à l’époque du recensement”, et il souleva du monde à sa suite ; lui aussi périt et tous ses partisans furent dispersés »

Luc, Actes des Apôtres 5, 37

Si Flavius Josèphe donne davantage de détails sur cette révolte, le fond reste le même :

« un certain Judas le Gaulanite de Gamala  [ près du lac de Tibériade ] se précipita dans cette sédition…il prétendait que ”ce recensement” n’amènerait qu’une servitude complète …et il appelait le peuple à revendiquer sa liberté »

et il ajoute:

« qu’Auguste voulait rétablir la justice dans cette province…il fallait gouverner les Juifs avec pleins pouvoirs…recenser les fortunes ».

Flavius Josèphe Antiquités Judaïques*

Ainsi, Luc et Flavius Josèphe parlent de ce 2e recensement dans les mêmes termes.

 

Antioche de Pisidie par Sir William Ramsay

La pacification romaine en Anatolie se heurtait aux révoltes des tribus montagnardes de Lycaonie, une « satrapie” rebelle de l’ancien royaume de Cappadoce, mitoyenne des provinces de Galatie (cap. Ancyre), Pisidie (cap. Antioche), Pamphilie et Cilicie. C’est à Antioche de Pisidie que Quirinius, légat d’Auguste et commandant en chef en Orient, installa ses 4 légions pour pacifier ce carrefour stratégique et le désenclaver par l’ouverture de la Voie Sébaste vers le sud-ouest et vers le sud-est. Il vainquit les Homonades, retranchés dans les monts Taurus. Cette victoire, aussi importante que la campagne de Drusus en Germanie, lui valut d’être l’un des trente légats d’Auguste à recevoir les ”ornements du triomphe” et les doubles ”supplications”.

William Ramsay* découvrit une deuxième inscription des Res Gestae d’Auguste en 1914, lors des fouilles du forum Antioche de Pisidie; en 1924 il découvrira 60 nouveaux fragments en langue latine également ; en 1930 d’autres fragments, en langue grecque ont été découverts à Apollonie de Pisidie. Les 5 bornes routières découvertes par William Ramsay* marquent l’achèvement de la Voie Sébaste en 6 B.C., ce sont des indices supplémentaires de la présence de Quirinius à cette époque tout comme d’autres inscriptions le concernant. Katarzyna Balbuza*, 2011, fait un point récent sur Quirinius et sur le Titulus Tiburtinus une inscription partiellement tronquée, découverte en 1764 dans la voie Tiburtine à Rome, qui souleva passions et controverses. Sanclemente, 1793, et Mommsen, 1883, affirmèrent que :

« ce légat d’Auguste en Syrie …proconsul en Asie…qui avait reçu deux fois les supplications et les ornements du triomphe… ne pouvait être autre que Quirinius, et si son nom avait été accidentellement tronqué, les titres de gloire sont bien les siens»

Katarzyna Balbuza* 2011

Malgré un léger doute qui subsiste sur cette inscription, la carrière de Quirinius était déjà fort bien établie par Tacite, Suétone et Strabon. On peut conclure qu’à cette époque :

« Quirinius établit la Paix romaine dans cette région éloignée de l’Anatolie centrale »

Justin Hardin * 2008

On peut imaginer, comme William Ramsay, que Luc prit connaissance du recensement d’Auguste et de la gloire militaire de Quirinius à Antioche de Pisidie, là même où :

« Paul se plaignit des persécutions et souffrances que lui avaient infligé les citoyens de cette ville ».

Epître à Timothée

 

Quirinius, vice-empereur des provinces romaines d’Orient ?

Quel rôle exerça Quirinius dans ce grand recensement du monde Romain ? Luc utilise le mot égémoneuon, qui signifie étant général ou étant commandant, c’est-à-dire celui qui est chargé de diriger, de conduire l’opération ; égémon a donné hégémonie en français. Si Luc avait voulu désigner le gouverneur de la province impériale de Syrie, il aurait utilisé le nom grec arkon, archonte. Luc n’utilise pas le nom égémon, ni encore moins comme un titre « Gouverneur », il n’utilise pas le nom mais le verbe qui caractérise le mieux l’action de Quirinius : conduire, mener, organiser le recensement.

La charge suprême de Gouverneur de la grande province impériale de Syrie dont dépendait les royaumes de Judée (Hérode) et de Cappadoce (Archélaus) était confiée à un légat propréteur d’Auguste; c’était alors Sentius Saturninus.

Mais un recensement, mission exceptionnelle mais brève, exige une organisation militaire dévolue à un homme énergique : en Syrie, Auguste confia cette mission de recensement à l’un de ses légats prétoriens Quirinius qui avait fait ses preuves et avait sa confiance, comme l’a soutenu Isaac Casaubon*, 1559-1614, un érudit français, protestant, réfugié à Genève. En parallèle, les Gouverneurs conservaient leurs pleins pouvoirs diplomatiques, politiques, juridiques et financiers.

Lors de ce recensement Quirinius était au début d’une carrière qu’il poursuivit en Orient : gouverneur en Asie, puis tuteur de Gaius Caesar le petit-fils d’Auguste durant un commandement en Arménie, et enfin légat propréteur d’Auguste en Syrie et en Phénicie de 6 à 12 de notre ère, le couronnement de toute une carrière consacrée à l’Orient Romain. Ethelbert Stauffer*, 1960, considère que :

« Quirinius doit être reconnu non seulement pour ses diverses fonctions de gouvernement en Syrie et en Asie mais surtout pour avoir été distingué par Auguste dans la glorieuse liste des commandants en chef en Orient. C’est à ce titre qu’il gouverna les provinces romaines d’Orient comme un vice-empereur, de 12 B.C. à 16 A.D».

Ethelbert Stauffer*

 

La date du recensement en Judée

Il ne fait aucun doute, le grand recensement de l’empereur Auguste, décrété en 8 B.C., se déroula en Judée pendant le mandat de Sentius Saturninus légat propréteur d’Auguste en Syrie comme l’affirme l’historien romain Flavius Josèphe.

Ceci sera confirmé au 2esiècle par un Père de l’Eglise, Tertullien*, très affirmatif, car il avait consulté à Rome les archives détaillées du recensement  de la Judée et de tout l’Empire (elles n’avaient pas encore disparues) et, sûr de lui, il s’appuyait sur ce document pour contredire publiquement un adversaire, Marcion :

« …un recensement exécuté dans la Judée par Sentius Saturninus. C’est à ces archives qu’ils [les adversaires de l’Eglise] auraient du demander la preuve de sa naissance et de sa famille… ».

Tertullien*

Avec ce cri du cœur Tertullien affirmait une date de la Nativité fort antérieure à celle alors communément admise par les Pères de l’Eglise  3 B. C. ou 2 B.C., gage supplémentaire de sa sincérité.

Sentius Saturninus était donc légat propréteur d’Auguste de 9 B.C. à 7 B.C., lors de ce recensement, mais grâce à Flavius Josèphe nous pouvons être plus précis tant la chronologie des événements survenus avant et après le recensement s’enchaîne de la fin du mandat de Saturninus 9 à 7 B.C. à celui de Varus, de 6 B.C. à 4 B.C., qui lui succède.

 

Une monnaie d’Antioche exclut 6 B.C. (et 5…4…) pour le recensement

Les monnaies d’Antioche, la capitale, étaient frappées au nom du légat impérial de Syrie. Antioche, « la métropole de l’Orient » (Josèphe), « la troisième ville du monde, après Rome et Alexandrie » (Strabon), « second berceau du christianisme après Jérusalem » (Renan), Antioche une ville de près de 500 000 âmes presque aussi grande que Paris avant ses extensions du 19e.

« Antioche, une ville tout hellénique depuis sa fondation, portée par les Séleucides à un haut degré de splendeur avec d’admirables statues, devint, à l’époque romaine, une vaste banlieue cosmopolite très animée où se mêlaient charlatans, sorciers et prêtres imposteurs, superstitions, ignominie, corruption et intrigues, luxe effréné, fêtes, débauche et bacchanales, mais la beauté des œuvres d’art et le charme infini de la nature empêchaient cet abaissement moral de dégénérer tout à fait en laideur et vulgarité. C’est dans cette Antioche profane, mais l’un des points du monde où il y avait le plus d’éveil, que se développera le christianisme : une jeune Eglise ardente, novatrice, pleine d’avenir, composée des éléments les plus divers, fondée en peu de temps. C’est en l’an 43, lors des prédications de Barnabé et Paul que le nom de ”christianus” fut formé par la population païenne d’Antioche pour désigner les nouveaux convertis, la terminaison latine indiquerait qu’elle fut adoptée par l’autorité romaine au même titre que ”herodiani” […] les Juifs continuèrent de les appeler ”Nazaréens” un nom qui a prévalu dans tout l’Orient »

Ernest Renan*

Revenons à cette pièce de monnaie :

  • sur une face de la monnaie « la tête de Jupiter le dieu tutélaire de la ville d’Antioche »,
  • sur l’autre face, « une femme assise sur des rochers, tenant à la main droite une branche de palmier, à ses pieds paraît un fleuve les bras étendus qui désigne l’Oronte pour la distinguer de l’autre Antioche, de Pisidie »,
  • sur l’entour des gravures :

Antioche sous Varus” , ”EK (25e), anno victoria”

Vaillant*, 1717,

il s’agit de la victoire d’Auguste sur Antoine à Actium, sur mer, le 2 septembre de l’an 723 depuis la fondation de Rome. La ville d’Antioche, échue à Antoine lors du partage de l’empire, se rallia à Auguste dès la bataille d’Actium avant même qu’Antoine ne se donne la mort sur la fausse annonce du suicide de Cléopâtre.

En conclusion, cette monnaie indique que Varus était déjà propréteur en Syrie la 25e année depuis Actium, 748 depuis la fondation de Rome, 6 B.C. une année qui débute même officiellement le 2 septembre 7 B.C. selon le calendrier de la métropole d’Antioche. Ainsi, en Septembre 7 B.C. à la fin des fonctions officielles de Saturninus, le recensement est sans doute achevé ; cette date est encore concordante avec la phase suprême de la triple conjonction Jupiter-Saturne, mais elle ne l’est plus avec la Grande Conjonction des 3 planètes qui se déroula au début de 6 B.C.

 

La date du recensement en Judée selon Flavius Josèphe

Flavius Josèphe rapporte que l’année 7 B.C. fut marquée par le complot contre Hérode le Grand mené par son frère Phéroras et son fils héritier Antipater, complot qui fut dévoilé à la suite du recensement en Judée et du refus des 6 000 pharisiens de jurer fidélité à l’empereur Auguste. Le vent tourne pour Phéroras qui refuse de désavouer son épouse, l’instigatrice, (ils se réfugient alors dans leur tétrarchie), et pour Antipater qui craint la haine de son père et se fait éloigner à Rome, en mission auprès d’Auguste. Pendant l’éloignement d’Antipater à Rome, « depuis 7 mois déjà » (Ant.Jud.17,IV,82), Saturninus est encore gouverneur, il enquête sur les empoisonnements, condamne les comploteurs ou les expulse vers Rome. Lors de son voyage de retour Antipater, fils héritier d’Hérode apprend à Tarente la maladie puis l’empoisonnement de Phéroras, fait escale à Célendéris en Cilicie, puis à Césarée la Maritime, Varus vient de succéder à Saturninus on est alors en fin de l’an 7 B.C. Malgré l’insuffisance de repères plus fiables pour jalonner cet enchaînement d’événements, on peut conclure que le recensement a eu lieu en Judée en 7 B.C., printemps, été, ou début d’automne.

Les Mages seraient-ils arrivés au moment fort de la triple conjonction, lors de l’opposition de Jupiter et Saturne au Soleil le 15 sept 7 B.C ? L’Etoile aurait alors culminé au-dessus de l’étable de Bethléem, et le recensement aurait eu lieu depuis plusieurs semaines déjà ce qui reste raisonnable

Les Mages seraient-ils arrivés lors de la Grande Conjonction de Mars, Jupiter et Saturne vers janvier ou février 6 B.C. ? C’est très tard, les planètes étaient déjà au couchant à la tombée de la nuit, et non au dessus de l’étable. Le recensement aurait eu lieu depuis plusieurs mois déjà, Joseph et Marie n’avaient pas de raison de s’attarder si longtemps dans l’étable de Bethléem. L’Adoration des Mages serait alors caduque.

 

L’Etoile des Mages et l’Edit d’Auguste :

deux histoires qu’on ne peut inventer

Jusqu’à l’époque de Képler et Suslyga, la réalité de ces deux récits ”l’Etoile des Mages”, ”l’Edit d’Auguste”, ne reposait que sur le témoignage des deux évangélistes, Matthieu et Luc. C’est maigre pour des historiens modernes et on comprend leurs réticences d’autant que Matthieu justifie cette naissance à Bethléem par une prophétie de Michée, « à Bethléem-Ephrata petite parmi les clans de Juda », ce qui est très agaçant pour les rationalistes. La position de Luc est différente, « Luc est un sage, on ne fut jamais moins sectaire, il demeure fiable pour tous les faits historiques mais cet esprit large et doux, modéré, est peu critique pour les passages qui relèvent de la Foi… » (Renan).

Le regroupement des planètes et le grand recensement d’Auguste, étaient deux événements trop spécifiques pour être ”inventés”. Il eut été si facile à Matthieu et Luc de faire intervenir des anges ou des songes.