Rome et Arles : la Nativité dans le premier art chrétien

 

 

Rome et Arles : la Nativité dans le premier art chrétien

 

— L’évangile de Matthieu associe la Nativité et l’Etoile des Mages. D’autres textes reprennent et même complètent la scène associant les Mages, l’Etoile et Hérode. Les premières représentations de la Nativité remontent à l’époque paléochrétienne, ainsi des fresques, gravures et sculptures, associent l’Etoile et les Mages à l’épisode de la Nativité. Le Moyen Age, la Renaissance, les temps baroques et classiques, nous ont apporté de magnifiques représentations de la Nativité, avec l’Adoration des Mages et L’éclat d’une Etoile désignant l’Enfant, des événements associés qui ont ému les croyants et inspiré les artistes.

Tu vas être déçu, mais ni à l’ère paléochrétienne, ni plus tard au Moyen-Age, on n’a trouvé une Adoration des Mages surmontée de Jupiter, Saturne et Mars. Les représentations de la Nativité, toujours émouvantes souvent naïves et anonymes, ont marqué profondément notre culture : bas-reliefs, sarcophages et mosaïques paléochrétiens, fresques des catacombes et églises carolingiennes, sculptures et vitraux de nos cathédrales gothiques, chapiteaux des églises et des cloîtres, enluminures des bibles et Livres d’Heures … et pour couronner le tout les chefs-d’œuvre de nos plus grands peintres de la Renaissance.

L’iconographie chrétienne sur la Nativité est fort riche. Elle a contribué à ancrer les récits de l’Enfance de Jésus dans la réalité tout autant que les textes eux-mêmes dont elle est une expression populaire naïve et touchante. Citons entres autres L’iconographie chrétienne de Louis Réau*, La bible et les saints de Duchet-Suchaux* et Pastoureau, Un Moyen-Age en images de Jacques le Goff*, L’iconographie de la Nativité à l’époque médiévale de Georges Comet* qui situent ces œuvres artistiques dans la pensée chrétienne de leur époque.

 

L’Adoration des Mages de Giotto et la comète de Halley

 Oui je connais l’Adoration des Mages de Giotto avec une comète au-dessus de la crèche de l’Enfant Jésus, c’est pour cela que les astronomes ont donné la nom de Giotto à une sonde cométaire. Le dessin de la comète (il n’y avait pas de photographies) est une description utile même pour les astrophysiciens d’aujourd’hui : sur un ciel bleu sombre, on voit apparaître sa large tête diffuse irradiant en branches étoilées, et une longue queue striée s’estompant progressivement.


En attente: Adoration des mages de Giotto, et comète de Halley

in La Chapelle des Scrovegni de Padoue, http://www.italia.it/fr/idees-de-voyage/


 C’est la comète de Halley dans l’un de ses passages les plus spectaculaires, elle fut observée en septembre et octobre 1301. Giotto, fasciné par le spectacle, la dessina immédiatement. Deux ans plus tard, en 1303, Scrovegni lui passait commande d’une Adoration des mages pour la chapelle de Padoue. Giotto surplomba l’étable de cette comète dont le spectacle l’avait si fortement marqué, une scène mi-diurne, mi-nocturne, difficile à rendre, surtout dans les bleus sombres.

 

La Nativité dans le premier art chrétien

Dans La Nativité et le temps de Noël, 2003, Jean Guyon*, consacre un article à La Nativité dans le premier art chrétien : « Sur 95 représentations paléochrétiennes recensées sur les cuves et couvercles de sarcophages, 84 représentent les Mages et l’Etoile. Le thème de la Sainte Famille est totalement inconnu de l’Antiquité au point que Joseph, jusqu’au 5e siècle, est absent des représentations. A l’extrême fin du 4e siècle, la Nativité est réduite à l’Enfant Jésus dans son berceau et à l’âne et au bœuf qui veillent sur lui ».

 

L’âne et le bœuf

— Pourquoi un âne et un bœuf ?

 C’est une légende tardive, 2e siècle. Un texte apocryphe attribué à un pseudo-Matthieu tente de justifier la présence de l’âne et du bœuf par une prophétie boiteuse du prophète Isaïe et une sentence évasive du prophète Habacuc « entre deux animaux ». On peut trouver des explications plus solides.

Commençons par rappeler un passage de l’Exode relatif à la Loi juive sur « l’année sabbatique » et le « jour du sabbat » :

« Pendant six ans tu ensemenceras la terre et tu engrangeras le produit, mais la septième année tu la laisseras en jachère et tu en abandonneras le produit; les pauvres de ton peuple le mangeront…

…Pendant six jours tu feras tes travaux, et le septième jour tu chômeras, afin que se repose ton bœuf et ton âne et que reprennent souffle le fils de ta servante ainsi que l’étranger ».

Exode 23, 10-12

Jésus a fermement dénoncé l’interprétation rigide du sabbat et l’hypocrisie des pharisiens, mais demeure respectueux du repos sabbatique.

Luc rappelle les paroles de Jésus : « le Fils de l’homme est maître du sabbat » puis rapporte trois épisodes, les épis arrachés, la guérison de la femme courbée, la guérison d’un hydropique, où Jésus nous interpelle :

« Lequel d’entre vous, si son « âne«  ou son « bœuf«  vient à tomber dans un puits ne l’en tirera aussitôt, le jour du sabbat ?».

Luc 14, 5

On imagine fort bien qu’un néophyte chrétien, un païen ignorant la bible, fraîchement converti lors d’un prêche de Luc, ou de l’apôtre Paul, ait retenu ce passage qui l’avait marqué et en ait répandu la légende ; il aurait pu sculpter un âne et un bœuf sur un sarcophage sans connaître l’origine de cette légende ni ce qu’avait pu dire ou ne pas dire le prophète Habacuc ?

Cette phrase de Jésus concernant le respect raisonnable du sabbat, relayée par Luc, est un encouragement au bon sens, en évitant les comportements ridicules et stériles. C’est peut-être l’un des messages les plus profonds de Jésus : une incitation à cultiver notre « Intelligence » et à garder notre « Liberté de jugement ». Jésus en donne lui-même l’exemple. Les préceptes dogmatiques contenus dans les Livres Sacrés ne peuvent être contraire à la Raison.

 

Un sarcophage paléochrétien du 4siècle à Arles

Fernand Benoit*, Directeur des Antiquités de Provence, a découvert et étudié les Sarcophages paléochrétiens d’Arles et de Marseille, (1954) : « L’un des sarcophages d’Arles, du 4siècle, un sarcophage à strigiles en marbre de Saint-Béat, est considéré comme le chef-d’œuvre de la sculpture Arlésienne ». Un sculpteur ne peut tout représenter sur un sarcophage car il y a peu de possibilités pour inclure des détails, surtout sur du marbre qui ne s’y prête pas; il doit faire des choix.

« La scène est en deux registres superposés :

Dans le registre du haut : l’Enfant dans son berceau occupe toute la place centrale, la vierge Marie est à gauche, un berger tenant son bâton est à droite, rappel de l’évangile de Luc ; derrière, en deuxième plan, l’âne et le bœuf, encore un rappel de la prédication de Luc, comme nous venons le voir.

Dans le registre du bas : trois mages, au bonnet phrygien, tout guillerets, «…à la vue de l‘astre, ils se réjouirent vivement d’une grande joie… » évangile de Matthieu ; les mages désignent du doigt l’Etoile qui a été reportée au-dessus du registre du haut, au dessus de l’Enfant et de sa Mère ».

Sarcophage paléochrétien d’Arles


sarc

 https://artmiens.woerpress.com Bas-relief sarcophage 4é siècle Musée départemental Arles Antique. F. Benoit*, 1954, Sarcophages paléochrétiens d’Arles et de Marseille. J. Guyon*, 2003, La naissance de Jésus dans le premier art Chrétien


Est-ce délibéré de la part du sculpteur ? Luc dans un registre, Matthieu dans l’autre ? Les bergers, premiers arrivés, sont à la place d’honneur près du berceau. Les Mages arrivés plus tard sont dans le registre du bas. Le sculpteur a fait le choix de privilégier l’Etoile, signe d’un Temps Nouveau, plutôt que les présents, l’or, l’encens et la myrrhe.

 

 Les Rois Mages

Dès les premiers siècles le nombre des Mages fut fixé à trois, en raison des trois présents, l’or, l’encens et la myrrhe. Les anglo-saxons les nomment Wise Men, « les Hommes Sages ». Ils sont coiffés du bonnet phrygien ; la Phrygie est située entre la mer Egée et le Pont-Euxin; le bonnet phrygien est devenu le bonnet rouge des révolutionnaires. Sur la mosaïque de Ravenne du 6e siècle les Mages au bonnet phrygien sont nommés Balthazar, Melchior et Gaspar. A l’approche du 10e siècle, on représente les Rois Mages avec une couronne.

Dans la bible, le prophète Daniel, surnommé Baltassar, est le conseiller, qui réussit à interpréter le songe de Nabuchodonosor. Ce rêve se réalise. Une année plus tard Nabuchodonosor meurt. Le nouveau roi, fils de Nabonide, se nomme aussi Balthazar ; il fait aussi appel au prophète Daniel pour résoudre une énigme. Ces noms ont pour origine le dieu Bel de Babylone et Balthazar voudrait dire « Bel protège le roi ».