Le monde ne mourra jamais par manque de merveilles, mais uniquement par manque d’émerveillement
K. Chesterton
Préambule
L’étoile des Mages, évangile de Matthieu, et le recensement ”du monde habité” décrété par l’empereur Auguste, évangile de Luc, commencèrent à acquérir une réalité historique au début du 17e siècle. L’astronome Képler*, 1604, et le théologien Suslyga*, 1606, montrèrent que deux événements, une ”conjonction de planètes” très rare et un premier recensement du monde habité s’étendant à la province impériale de Syrie dont dépendait le royaume d’Hérode, s’étaient tous les deux déroulés du temps d’Hérode le Grand. C’était aussi le temps de la Nativité selon les évangiles de Matthieu et Luc.
En décembre 1603, Képler venait d’observer une Grande Conjonction de Mars, Jupiter et Saturne dans la constellation du Sagittaire un événement rare, ce qui l’incita à s’intéresser aux Grandes Conjonctions de l’Antiquité. Képler calcula qu’une Grande Conjonction de ces 3 planètes s’était produite en février 6 B.C., et, deuxième curiosité, Képler montra qu’elle avait été précédée, en juin, août et décembre de 7 B.C., d’une triple conjonction de Jupiter et de Saturne jouant au chat et à la souris pendant 8 mois. Cet ensemble de phénomènes est rare, d’autant plus qu’ils se déroulèrent au voisinage du point d’équinoxe, ce qui provoque le regroupement assez spectaculaire de leurs couchers au même azimut. Pour nous, en 2016, il s’agit là du phénomène de Bethléem, mais Képler y voyait seulement un ”prélude”, de même que la Grande Conjonction qu’il avait observé en 1604 avait été pour lui un ”prélude” à la supernova du 17 octobre 1604.
Képler qui, le premier, découvrit cette supernova la décrit comme un ”2e Jupiter”, avec le même éclat, à 3 degrés de distance seulement de notre belle planète ; le 13 septembre 1605 l’éclat de la supernova était moindre que celui de ρ Ophiuchus ; elle fut visible plus d’un an. Certes, le magnifique spectacle d’une étonnante supernova aurait mieux cadré avec l’Etoile mystérieuse décrite par Matthieu. A la fin de sa vie, Képler, qui, comme tout astronome, ne pouvait se rallier à l’idée que les Mages aient pu ”suivre” une Etoile, renonça à toute idée d’un phénomène astronomique réel.
Dans De vero anno…, 1614, Képler conclut que :
« cette Etoile nouvelle n’était pas dans le registre ordinaire d’une supernova ou d’une comète, mais bien une étoile miraculeuse qu’ils virent se déplacer dans les régions inférieures de l’atmosphère […]. La conjonction des planètes avait été un signe avant-coureur de cette Etoile ”miraculeuse” ».
Képler*
Puis, Képler revient à sa première idée :
« Les Mages étaient des astrologues Chaldéens, leur présage était qu’une Grande Conjonction des 3 planètes dans les points cardinaux, spécialement au point d’équinoxe, signifiait un changement universel […] et que le lever d’un nouveau Roi était imminent. […] Dieu aurait-il condescendu à alimenter la crédulité des Chaldéens »
Képler cité par W. S. Burke-Gaffney*, S.J., 1937
Burke-Gaffney* poursuit :
« En 1605, pour des raisons de famille, d’héritage, Képler s’était rendu à Gratz en Styrie germanique où, par hasard, il prit connaissance de la thèse d’un théologien polonais, Laurent Suslyga*, sur la date de la Nativité »
Les Pères de l’Eglise avaient jusqu’alors calculé cette date à partir de la première prédication de Jésus, juste après son baptême par Jean-Baptiste, ”durant la quinzième année du règne de Tibère” ; ils en déduisaient la date de Pâques, la grande fête des chrétiens, et remontaient à la date de la Nativité sur la base « Jésus ayant alors ”environ 30 ans” ». Suslyga mit à plat ces approximations successives et revint au départ : Jésus était né du temps d’Hérode le Grand comme l’affirment Matthieu et Luc. L’historien juif romain Flavius Josèphe* rapporte qu’Hérode décéda à l’approche de Pâques 4 B.C., « quelques jours après une éclipse de Lune ». Képler* s’empressa d’en calculer la date, le 13 mars de 4 B.C., effectivement proche de Pâques, le 11 avril 4 B.C.
Képler et Suslyga ne s’arrêtèrent pas là. Depuis l’Antiquité romaine on savait par la Vie d’Auguste de Suétone « que l’Empereur Auguste avait procédé à 3 recensements du monde habité » mais les dates de ces recensements étaient perdues car l’énorme annuaire historique Brevarium Imperii ou Sommaire de l’Empire, et ses extraits majeurs, les Res Gestae gravés sur le temple d’Auguste à Rome, avaient été détruits à la fin de l’Empire. En 1555, Ghislain de Busbecq retrouva la date de ces 3 recensements, dont celui de 8 B.C., sur une inscription romaine du temple-mosquée d’Ancyre (Ankara). Suslyga comprit que ce recensement de 8 B.C. décrété par Auguste seul, et non par deux consuls comme les autres recensements, était bien celui cité par Luc. Cette inscription d’Ancyre enthousiasma les historiens des 18e et 19e par la richesse de son contenu, « la reine des inscriptions » pour Théodor Mommsen, historien allemand spécialiste des monuments de l’Empire Romain, Prix Nobel 1902.
Képler et Suslyga retrouvèrent aussi mention des répercussions de ce recensement d’Auguste dans les Antiquités Judaïques :
« En fait alors que tout le peuple Juif avait confirmé par des serments son dévouement envers l’empereur Auguste et le gouvernement royal d’Hérode, des pharisiens, au nombre de plus de 6 000 avaient refusé de jurer »
Flavius Josèphe*
Il s’agit donc d’un recensement effectué selon l’ordre romain et selon les coutumes juives, un recensement qui ne fut pas anodin et provoqua des turbulences internes détaillées par Flavius Josèphe, comme nous le verrons. Enfin, Képler et Suslyga, s’appuyaient déjà sur Tacite, Suétone, Dion Chrysostome, pour confirmer le rôle important de Quirinius lors de ce recensement, comme envoyé spécial d’Auguste dans la province impériale de Syrie dont dépendait le royaume d’Hérode.
Deux siècles plus tard la grande tourmente rationaliste se déchaîna, de Strauss, 1835, théologien de Tubingen, jusqu’à Guignebert, 1933, professeur d’histoire du christianisme à la Sorbonne :
« C’est l’imagination florissante de Matthieu qui a combiné tout le récit de la visite des mages et l’apparition de l’étoile miraculeuse afin de rendre authentique la naissance de Jésus à Bethléem ».
Et encore
« Luc a inventé cet édit extravagant d’Auguste ordonnant le recensement de tout l’Empire, dans le seul but de trouver un moyen de faire venir Joseph et Marie à Bethléem parce qu’il voulait que Jésus y naquît ».
Mais comment Matthieu et Luc auraient-ils pu ”inventer” des événements si particuliers : l’arrivée surprenante de Mages qui avaient vu un ”Astre” à son lever, et un recensement du monde habité, couvrant la Syrie donc le royaume d’Israël, qui marque l’apogée de l’Empire Romain? Il aurait été si simple pour les évangélistes de faire intervenir des anges, du monde invisible, comme l’ange qui apparaît à Zacharie ou l’ange « qui annonce à Marie qu’elle enfantera Jésus, le Fils du Très-Haut ». Ils auraient pu faire appel à des songes : c’est un ange qui apparaît en songe à Joseph : ”Marie enfantera un Fils qui vient de l’Esprit Saint”, ou, comme sur le chapiteau de la cathédrale Saint-Lazare d’Autun, 12e siècle, un ange montrant aux Rois Mages endormis l’Etoile qui les guidera vers le nouveau-né.
Les nombreuses découvertes effectuées par les chercheurs des 19e, 20e et 21e siècles apportent aujourd’hui des réponses aux questions qui restaient en suspens, le puzzle finit de se construire sur les bases avançées par Képler et Suslyga.
Dans notre voyage fictif, nos deux enquêteurs, des astronomes, vont nous conduire sur la trace de ces chercheurs, une aventure qui nous mènera sur des ziggurats astronomiques et sites archéologiques, au British Museum à la recherche d’éphémérides astronomiques chaldéennes en écriture cunéiformes, à l’Observatoire de Paris et au Bureau des Longitudes temple de la Mécanique Céleste, dans des bibliothèques de l’Antiquité, le monastère Sainte-Catherine du Sinaï et les bibliothèques de Césarée et de Pergame, sur les sites archéologiques d’Anatolie, Ancyre et Antioche de Pisidie, vers de nouveaux papyrus Bodmer et des manuscrits syriaques oubliés. Avec les hellénistes et les philologues nous rechercherons des textes astronomiques oubliés qui permettent aujourd’hui de traduire correctement les passages d’astronomie des évangiles, des épîtres et des lettres qui concernent ”l’Etoile des Mages” ; à commencer par ”Etoile” un nom qui n’existe pas dans la langue grecque. Nous ferons une brève excursion également vers les représentations artistiques de l’Etoile des Mages et des 7 niveaux des planètes, de l’époque paléochrétienne à la Renaissance.
Les deux astronomes détectives qui nous servent de guide dans ce dédale sont deux rationalistes : ils réfutent la mythologie, le symbolisme et l’idolâtrie indument attachés aux planètes et aux signes du zodiaque. Ils ne croient ni aux miracles, ni aux prophéties, mais ils savent s’émerveiller devant les découvertes extraordinaires des astronomes chaldéens et tout autant devant le talent des assyriologues qui ont su déchiffrer l’écriture cunéiforme : citons les pionniers de l’astronomie chaldéenne, trois jésuites : Strassmaier*, Epping*, Kugler*.
Parmi toutes ces merveilleuses tablettes astronomiques figurent des éphémérides astronomiques prévoyant les positions des planètes pour l’année 305 de l’ère des Séleucides (13 mois lunaires du 1er avril 7 B.C. au 18 avril 6 B.C). Découvertes en 1925 sur le site de Borsippa à Babylone en 1925, ces éphémérides ont été publiées en 1984 par A.J. Sachs et C.B.F. Walker, sous le titre Kepler’s View of the Star of Bethlehem and the Babylonian Almanac for 7/6 B.C., avec le British Institute for the Study of Iraq, archives JSTOR. Certes ces deux assyriologues ne s’attendaient pas à y trouver mention d’une ”conjonction” de planètes un terme qui ne figure pas non plus dans les autres éphémérides, mais ils furent déçus de ne pas y trouver les 3 dates de la triple conjonction de Jupiter et de Saturne calculées par Képler. Mais, l’essentiel, les 5 dates clés des orbites de Jupiter et de Saturne y figurent ; ces 10 dates fondamentales sont nécessaires pour prévoir l’événement astronomique de la triple conjonction alors que les 3 dates où Jupiter dépasse Saturne ne sont là que pour le spectacle. Ces éphémérides prévoyaient également la Grande Conjonction de Jupiter, Mars et Saturne prévue au point d’équinoxe au début de 6 B.C.
Depuis Képler les astronomes pouvaient affirmer qu’une conjonction rare de planètes ”s’était produite” en 7 B.C. Aujourd’hui on sait que les Mages chaldéens avaient prévu que cette conjonction de planètes ”allait se produire”.