Mésopotamie : les tablettes d’Istar-suma-iris et d’Akkullanu

 

 

Mésopotamie : les tablettes d’Istar-suma-iris et d’Akkullanu

 

— Je survole la monumentale ziggurat d’Ur, elle s’élève sur trois terrasses.

— Oui c’est une des plus anciennes, 2e millénaire, elle est bien conservée. Celles de Khorsabad, Sippar, Borsippa ou Uruk s’élevaient vers le ciel sur 7 niveaux correspondant à l’ordre chaldéen des planètes classées selon leur durée de révolution : Saturne, (1e terrasse), puis Jupiter, Mars, le Soleil, (4e terrasse) qui usurpait la place de la Terre, puis les terrasses de Vénus et Mercure, soit 5 planètes dans le bon ordre héliocentrique, une merveille de l’astronomie chaldéenne et grecque ; dernière terrasse, la Lune.

— Je survole les ruines de Ninive.

— Elles furent découvertes en 1843 par Paul Botta, consul de France, à proximité du village de Khorsabad, non loin de Mossoul en Irak. Gabriel Hanotaux*, 1885, rapporte que le long de murailles qui affleuraient des sables, Paul Botta mit au jour l’antique résidence de Sargon II, roi d’Assyrie ; ces magnifiques bas-reliefs et statues sont aujourd’hui au Louvre. Mais Ninive était fort étendue, en 1847, Henry Layard, un archéologue britannique, poursuivit les fouilles et découvrit dans le palais de Sennachérib 25 000 tablettes en écriture cunéiformes provenant de la bibliothèque Assurbanipal (668-627). Ce roi d’Assyrie avait rassemblé les œuvres littéraires et scientifiques de son temps, un trésor assyriologique inestimable précieusement sauvegardé au British Museum de Londres.

— Des œuvres littéraires, oui, j’ai appris au collège l’épopée du héros Gilgamesh et la première histoire de la Création et du Déluge qui sont antérieures à la bible.

— Oui, l’épopée de Gilgamesh traduite en 1872 par un assyriologue britannique, George Smith*, provoqua un émoi mondial.

— En lisant L’Histoire commence à Sumer de Samuel Noah Kramer*, 1957, j’ai été surpris d’apprendre que la première quête de ”l’immortalité” et la première légende d’une ”résurrection” avaient précédé d’un millénaire le judéo-christianisme. J’aime également les expéditions scientifiques et les fouilles archéologiques, j’ai adoré Il était une fois la Mésopotamie, 1993, de Jean Bottéro*, assyriologue, et M.J. Stève O.P. qui retracent deux siècles de découvertes archéologiques.

 

Enûma elish: la Création des Astres

— L’orientaliste Béatrice André-Salvini*, 2008, nous livre un extrait de la Création des Astres, du Ciel et de la Terre, des tablettes cunéiformes qui remontent à la période 1500-1000 B.C.:

« [Marduk] créa les stations célestes pour les grands dieux,

Il installa les constellations, leurs étoiles qui sont leurs images,

Il détermina l’année, en traça les limites,

Et pour chacun des douze mois, il mit en place trois étoiles.

Lorsqu’il eut fixé la durée de l’année,

Il fixa la station de l’Etoile Polaire, pour définir les liens entre les astres

et qu’aucun ne commette de négligence en son parcours […]

Puis il fit briller la Lune [Nanna] et lui confia la nuit,

Il lui assigna d’être le joyau de la nuit pour définir les jours

Que chaque mois, sans fin, il marquerait par son disque […]

Lorsqu’il eut assigné le jour au Soleil [Shasmash]

Qu’il eut fixé les gardes de la nuit et du jour […] »

Enûma elish, IV, 135-137 ; V,1-70

On trouve déjà dans la Création des Astres davantage de connaissances astronomiques que dans Homère et plus encore que dans la Bible. Une information fantastique, plus d’un millénaire avant notre ère : ”36 étoiles” qui marquent le tracé de l’écliptique et la course des planètes au cours des 12 mois zodiacaux. Ces 36 étoiles permettent d’observer et de prévoir le mouvement des 7 planètes, 7 astres errants, comme on disait alors :

  • les 3 planètes supérieures, les plus lointaines, Mars, Jupiter et Saturne,
  •  les 2 planètes inférieures Mercure et Vénus, voisines du Soleil,
  •  le Soleil qui parcourt les 12 signes du zodiaque en un an. (Le Soleil est une étoile comme chacun sait).
  •  la Lune, la plus proche, qui parcourt le zodiaque en un mois sidéral. (comme chacun sait, la Lune n’est pas une planète mais le satellite de la Terre).

Les textes astronomiques chaldéens furent déchiffrés à la fin du 19e par trois Jésuites. Johann Strassmaier*, orientaliste et assyriologue au British Museum, découvrit parmi les tablettes un grand nombre de textes astronomiques contenant des données mathématiques avec la date des mois lunaires, il en fit d’excellentes copies et traductions toujours en usage. Strassmaier fit appel à Joseph Epping*, professeur d’astronomie à Maria Laach près de Coblence qui déchiffra les idéogrammes des diverses planètes et publia, en 1889, L’astronomie à Babylone. Après le décès de Joseph Epping, Franz Kugler*, professeur d’astronomie à l‘Ignatius College en Hollande prit le relais et publia en 1900 la Théorie Babylonienne de la Lune, et en 1907 la Théorie Babylonienne des Planètes. Cet immense travail de déchiffrement de l’astronomie babylonienne fut poursuivi par Schaumberger*, 1933, et Otto Neugebauer*, 1975.

— Mais à l’œil nu que pouvaient mesurer les astronomes chaldéens ?

— C’étaient de fins experts sur les mouvements des planètes, mais aussi sur celui de la Lune qui leur permettait de prévoir les éclipses et d’asseoir leur position de conseillers des rois.

 

La Lune : mois sidéral et mois synodique

Ils avaient observé que la Lune fait un tour, revient devant la même étoile, au bout de 27,32 jours ; pendant ce cycle d’un tour lunaire, le Soleil s’étant déplacé de presque un signe du zodiaque, il faut à la Lune un petit délai supplémentaire pour revenir devant le Soleil : au bout de 29,53 jours ”en moyenne”.

— Oui je connais, c’est un problème de ”courriers”, mon grand-père a eu ce problème au certificat d’études : au bout d’ 1 an le Soleil aura parcouru 1 tour dans le zodiaque, la Lune aura effectué 13,37 tours dans le zodiaque mais sera revenue 12,37 fois devant le Soleil (1 cycle de moins).

 — Les astronomes chaldéens qui connaissaient l’écriture et tinrent des registres d’observation pendant près de 900 ans et en continu sur plusieurs siècles savaient, au temps de Kidinnu, 4e siècle B.C., que :

« que la Lune, après 3 008 retours devant la même étoile (mois sidéral), était revenue 2 783 fois devant le Soleil (mois synodique) ».

Kidinnu, astronome chaldéen, cité par Kugler*

Ainsi, après des siècles consacrés à l’enregistrement de leurs mesures méthodiques et persévérantes, ils savaient que la Lune revient devant les mêmes étoiles tous les 27j 07h 43m14s4, soit une différence minime de 2,5 secondes par rapport aux valeurs de l’astronome Le Verrier, et elle revient devant le Soleil tous les 29j12h44m03s3, en moyenne, avec une différence encore plus infime de 0,4 seconde par rapport aux valeurs récentes.

 

Les boucles de rétrogradation des planètes, tablette de Istar-suma-iris

La tablette d’Istar-suma-iris, K2894 du British Museum, traduite par R. C. Thompson*, 1900, montre que les astronomes-astrologues chaldéens connaissaient ”les boucles de rétrogradation des planètes avant même la chute de Ninive :

« La planète de Mars à sa plus grande puissance devint splendide et elle resta ainsi plusieurs semaines successives. Puis, pendant autant de semaines, elle devint rétrograde pour reprendre ensuite son cours habituel, et elle parcourut ainsi deux [ et/ou] trois fois la même route. La grandeur de la rétrogradation ainsi parcourue trois fois – deux fois dans un sens et une fois dans l’autre – fut de 20 Kasbu (20 degrés) ».

Tablette d’Istar-suma-iris

Le terme moderne de ”boucle de rétrogradation” est un peu exagéré car il s’agit de boucles très aplaties, beaucoup plus que la boucle d’un trombone. Pour les astronomes chaldéens qui observaient à l’œil nu, la planète repartait sur la même route mais en sens inverse puis à nouveau la même route dans le sens direct. «Trois fois la même route» comme gravé sur la tablette d’Istar-suma-iris.

La boucle de rétrogradation d’une planète est un mouvement ”apparent” tel qu’on le voit de la Terre. Ces boucles apparentes sont dues au changement de position de la Terre au cours de son orbite annuelle. Il est bien évident que les planètes décrivent des orbites elliptiques et tournent toujours dans le même sens.

Il est extrêmement rare que Jupiter et Saturne fassent leurs boucles de rétrogradation en même temps et au même endroit du ciel comme en 7/6 B.C. Ce phénomène est rare, mais il n’est pas spectaculaire car très lent. D’une nuit à l’autre le changement est imperceptible, mais ce qui interpelle l’observateur c’est le mouvement des deux planètes entre elles. Jupiter et Saturne semblent alors jouer au chat et à la souris, elles exécutent un ballet synchronisé et naviguent de conserve : Jupiter, plus rapide, décrit parmi les étoiles une boucle de 10° autour de Saturne plus lente qui décrit une boucle de 7° ; Jupiter double ainsi Saturne à 3 reprises (d’où le nom de triple conjonction), et les deux planètes ne se quittent jamais à plus de 2°8 pendant 8 mois. Au début de 6 B.C. il s’y enchaîna un 2e événement quand Mars vint rejoindre Jupiter et Saturne juste pendant ces mois-là. Dernière originalité, ce regroupement de Mars, Jupiter et Saturne se fit à proximité du point d’équinoxe et à la date de l’équinoxe de 6 B.C. On vit alors descendre sur l’horizon à la fin du crépuscule, quasiment à la verticale, le Soleil, Saturne, Mars, Jupiter et la Lune, et toutes plein Ouest alors qu’à l’ordinaire, dans la même nuit, les planètes se couchent à des azimut dispersés irrégulièrement entre le Sud-Ouest et le Nord-Ouest.

Une petite phrase de cette tablette  « Mars à sa plus grande puissance » dévoile la perspicacité des astronomes chaldéens qui s’étaient aperçu que l’éclat de Mars varie beaucoup (multiplié par 49 pour une distance à la Terre multipliée par 7). Cette observation chaldéenne est pertinente car on sait que Galilée (1615, lettre à Christine de Toscane) s’est appuyée sur cette variation d’éclat de Mars pour démontrer que l’héliocentrisme a une réalité physique et n’est pas seulement un modèle mathématique comme l’avait montré Copernic.

 

L’anomalie de la vitesse de la Lune : tablette d’Akkullanu

— Voici maintenant la tablette d’Akkullanu, tablette n°166 transcrite par Reginald Thompson*, 1900. :

« Quand la Lune et le Soleil sont vus en même temps le 16e jour du mois, la guerre doit être déclarée au roi. Quand le 14e et le 15e jour de Tammuz la Lune n’est pas visible en même temps que le Soleil, le roi sera assiégé dans son palais. Quand elle est visible le 16e jour, félicité pour l’Assyrie, malheur pour Accad et pour l’Occident ».

Tablette d’Akkullanu

— Mais c’est de l’astrologie, mélangée avec de l’astronomie !

— Oui, mais quelle belle astronomie! Qui donc sait encore aujourd’hui que de la Nouvelle Lune à la Pleine Lune il s’écoule tantôt 14, tantôt 15, tantôt 16 jours ? Qui sait que la Lune se décale plus vite dans le ciel quand elle est au plus près de la Terre, au périgée, et plus lentement quand elle est au plus loin, à l’apogée ? Qui connaît, comme les chaldéens, ”l’anomalie de la vitesse” de la Lune…de Jupiter…de Saturne… qui constitue l’ossature de la ”loi des aires” de Képler, sa loi essentielle d’où il déduisit, dix ans plus tard, sa loi sur les orbites elliptiques des planètes.

— Moi j’ai découvert cette anomalie de la vitesse en examinant les dates Nouvelles Lunes et des Pleines Lunes dans le calendrier de la poste. Ainsi, pour 2016, en janvier et février il s’écoulera 14 jours de la N.L à la P. L. car la Lune, alors au périgée, va plus vite, tandis qu’en juillet et août 2016, il s’écoulera 16 jours de la N.L. à la P.L. car la Lune, désormais à l’apogée, sera alors plus lente.

— Oui, la Lune revient au périgée tous les 27 jours environ d’où un décalage avec la phase lunaire : elle reviendra tantôt à la N.L.… et tantôt à la P.L. (6 lunaisons plus tard environ).

— Un soir, un copain astronome-amateur m’a fait la démonstration : cette nuit-là, la Lune était à l’apogée, en quatre heures seulement (une soirée télé) j’ai vu la Lune se décaler de 3 fois son diamètre par rapport à une étoile voisine, et 14 jours plus tard, alors qu’elle était au périgée, plus rapide donc, la Lune s’est déplacée de 4 fois son diamètre durant le même temps par rapport à une étoile du champ. Je suppose que les chaldéens faisaient la même chose.

J’ai compris la loi des aires de Képler en regardant la vidéo  de l’ESO, l’Observatoire européen austral, sur le site https://www.eso.org/public/france/videos/eso0226a/.  La vidéo montre la rotation d’une étoile autour du Trou Noir situé au centre de notre Galaxie. On voit très bien l’accélération de l’étoile quand elle approche de son périgée, c’est la même chose pour les planètes autour du Soleil, et pour la Lune autour de la Terre.

— Oui, c’est bien, tout à l’heure je te donnerai les vitesses de Jupiter au périgée et à l’apogée. Pour les chaldéens c’était plus facile que pour toi avec ton calendrier des postes car leur calendrier, lunaire, alternait les mois de 29 jours et de 30 jours. Ainsi, le mois débutait toujours à la Nouvelle Lune ;  les Pleines Lunes et donc les éclipses de Lune survenaient les 14, 15 ou 16 du mois. Ces astronomes avaient mesuré que la Lune se décale de 11°05’05’’ par jour par rapport aux étoiles quand elle est à son apogée, et de 15°16’05’’ quand elle est au périgée (valeurs chaldéennes transmises par Géminos de Rhodes* fl. 55 B.C. (fl.= florès, fleur de l’âge, fleur de l’œuvre).

Ainsi, les astronomes chaldéens savaient que la vitesse de la Lune est plus rapide au périgée, de 38%, qu’à l’apogée. Cet effet important que tu as déjà observé pour la Lune, tu peux aussi l’observer pour Jupiter et Saturne qui ont une ellipticité marquée ; c’est indispensable pour prévoir les dates des conjonctions de Jupiter et de Saturne (simples et triples) car cette ellipticité introduit un retard ou une avance qui peut atteindre une année. Avec leur technique simple, les Chaldéens avaient méthodiquement compté qu’:

« en 345 ans, la Lune est revenue 4612 fois devant la même étoile et elle est passée 4573 fois au périgée, soit 39 tours de différence en 345 ans »

Kidinnu, astronome chaldéen, cité par Kugler*

Selon les valeurs de Kidinnu, 4e siècle B.C., la Lune revient au périgée, c’est-à-dire à sa vitesse maximum, tous les 27jours13h18m34s,7 avec une erreur infime de 4s6 ; on appelle cette durée le mois anomalistique de la Lune en raison de ”l’anomalie” de sa vitesse. Selon les mêmes mesures chaldéennes la Lune revient au périgée et simultanément devant une même étoile du zodiaque tous les 8 ans 309 jours, et selon André Danjon, 1959, tous les 8 ans 310 jours.

 

Traversée de l’écliptique par la Lune, pour la prévision des éclipses

Les Chaldéens qui cherchaient à prévoir les éclipses savaient qu’il n’y a pas une éclipse de Soleil à chaque Nouvelle Lune, ni une éclipse de Lune à chaque Pleine Lune car le plan de l’orbite de la Lune est incliné de 5° sur l’écliptique. Pour qu’il y ait éclipse il faut impérativement que la Lune soit proche de l’écliptique, sur la route où circule le Soleil ; ils savaient que les éclipses peuvent se produire toutes les 6 lunaisons en général, parfois toutes les 5 lunaisons. De manière très simple, les astronomes chaldéens enregistraient chaque passage de la Lune sur la ligne de l’écliptique lorsqu’elle revient du côté nord, c’est-à-dire du côté de la constellation du Dragon (le dragon qui ”avalait” le soleil ou la lune lors des éclipses, pour les Anciens). Neugebauer*, 1955, spécialiste de l’astronomie chaldéenne rapporte que le célèbre astronome grec Hipparque utilisa la valeur de ce cycle du Dragon que les chaldéens avaient enregistré après plusieurs siècles qu’ :

« en 5 458 lunaisons la Lune a traversé 5 923 fois l’écliptique, du sud au nord »

Kidinnu, astronome chaldéen, cité par Kugler*

côté du Dragon soit un mois draconitique de 27jours5h5m35s8 avec une erreur infime de 0s2. Ils étaient ainsi en mesure de prévoir les éclipses de Lune, et même de Soleil ce qui est beaucoup plus difficile, mais ils ne pouvaient définir la zone de visibilité c’est-à-dire la bande d’ombre sur la Terre qui serait balayée par l’éclipse de Soleil, ni prévoir si l’éclipse serait totale ou partielle, ni à quelle heure elle aurait lieu.